Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Un accord collectif peut-il prévoir une indemnité de licenciement minorée pour les salariés licenciés pour inaptitude ?

Une telle injustice heurte en raison de l’inégalité de traitement évidente qu’elle réserve aux salariés affectés d’un état de santé, médicalement constaté, les empêchant de reprendre leur poste de travail.

Elle contrevient en outre au principe de non-discrimination posé par l’article L 1132-1 du Code du travail, qui dispose notamment qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de son état de santé.

A la première difficulté du licenciement lui-même, qui marque une rupture brutale du contrat de travail et plonge le salarié dans les affres d’une recherche d’emploi, s’ajoute celle de la frustration d’avoir perçu une indemnité de licenciement dont le montant est réduit par rapport à ses collègues licenciés pour tout autre motif.

Plusieurs accords collectifs ne s’étaient pourtant pas embarrassés de ces considérations

C’était ainsi le cas de la convention collective de travail du personnel de la mutualité sociale agricole dans sa rédaction du 22 décembre 1999, excluait les salariés licenciés pour inaptitude physique consécutive à une maladie ou à un accident de la vie privée, de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

Une salariée ayant quarante ans d’ancienneté en avait contesté avec succès les dispositions.

La Chambre sociale de la Cour de cassation avait jugé « qu’en l’absence d’élément objectif et pertinent la justifiant, est nulle en raison de son caractère discriminatoire fondé sur l’état de santé du salarié, la disposition d’une convention collective excluant les salariés licenciés pour cause d’inaptitude consécutive à une maladie ou à un accident non professionnel du bénéfice de l’indemnité de licenciement qu’elle institue » (Cass. Soc. 8 oct. 2014 n° 13-11789).

Cela étant, plusieurs conventions collectives ignoraient cette décision et maintenaient la différence de traitement entre salariés qu’elles appliquaient.

C’est notamment le cas de la convention d’entreprise du personnel au sol d’Air France.

Celle-ci prévoyait un plafond de l’indemnité de licenciement de 18 mois de salaire pour les salariés licenciés pour inaptitude, contre 24 mois de salaire accordé aux salariés licenciés pour un autre motif que l’inaptitude (exception faite d’un licenciement pour motif disciplinaire, également privatif).

L’employeur s’appuyait, pour justifier de la licéité de cette différence de traitement, sur une jurisprudence postérieure à la décision du 8 octobre 2014, posant une présomption de justification de différence de traitement entre catégories professionnelles lorsqu’elles résultaient de conventions ou accords collectifs, au motif qu’elles avaient été conclues par les organisations syndicales représentatives investies de la défense des droits et des intérêts des salariés (Cass. Soc. 27 janv. 2015 n° 13-22179).

L’accord collectif ne saurait donc, par principe, léser les intérêts des salariés…

Une salariée d’Air France, engagée en 1978, avait été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 1er décembre 2014.Inégalité de traitement entre salariés

Ayant perçu une indemnité de licenciement d’un montant minoré en raison de son inaptitude, elle soutenait que l’accord collectif présentait un caractère discriminatoire en opérant une différence de traitement injustifiée en raison de l’état de santé du salarié, et partant, violait les dispositions de l’article L 1132-1 du Code du travail.

Précisons que dans l’intervalle, la présomption de validité d’une différence de traitement fondée sur un accord collectif avait fait long feu,

La Haute juridiction étant revenue sur sa position en 2019, en jugeant que « même lorsque la différence de traitement en raison d’un des motifs fondé sur l’article L 1132-1 du code du travail résulte des stipulations d’une convention ou d’un accord collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, les stipulations concernées ne peuvent être présumées justifiées au regard du principe de non-discrimination » (Cass. Soc. 9 oct. 2019 n° 17-16642).

Fi donc de la présomption de justification…

L’employeur affirmait cependant, contre toute évidence, que l’origine du plafonnement n’était pas l’état de santé du salarié, mais son inactivité objectivement engendrée par l’inaptitude.

L’argument n’a pas convaincu les Juges du fond, pas davantage que la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Celle-ci, après réaffirmé que la présomption de justification de l’accord collectif avait vécue, pose « qu’en l’absence d’élément objectif et pertinent la justifiant, est nulle en raison de son caractère discriminatoire fondé sur l’état de santé du salarié la disposition d’une convention collective excluant les salariés licenciés pour inaptitude de l’indemnité de licenciement qu’elle institue » (Cass. Soc. 9 déc. 2020 n° 19-17092).

L’article de l’accord collectif contesté, prévoyant la minoration du montant de l’indemnité de licenciement en raison de l’inaptitude de la salariée, lui est en conséquence inopposable.

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