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Faut-il vraiment attendre quelque chose d’une enquête interne conduite par l’employeur après une plainte pour harcèlement ?

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris 

 

L’obligation pour l’employeur informé de faits de harcèlement d’agir immédiatement afin de les faire cesser

Comme nous l’avons souvent rappelé sur ce blog, le caractère parfaitement inacceptable des faits de harcèlement (moral ou sexuel) impose à l’employeur, informé par le ou la salarié(e) qui en est victime, d’agir immédiatement pour le faire cesser.

Aucune tergiversation, ou aucun délai, ne sont donc admis.

Cette exigence résulte d’une obligation légale, l’obligation de sécurité, qui prévoit que l’employeur doit prendre les mesures de nature à préserver la santé et la sécurité des salariés (article L 4121-1 du Code du travail).

La jurisprudence en a déduit en conséquence que l’employeur, alerté par un salarié qui subit des agissements de harcèlement, doit prendre immédiatement les mesures pour assurer de manière effective le respect de l’obligation de sécurité à laquelle il est tenu et faire cesser la situation de harcèlement qui lui est rapportée.

L’enquête interne, le moyen le plus commun pour l’employeur, de justifier du respect de son obligation

La pratique s’est répandue dans les entreprises, quand un salarié a eu le courage d’interpeller les Ressources Humaines sur sa situation, de réagir en organisant une enquête interne.

L’enquête ne constitue pourtant pas une solution exclusive, la Cour de cassation considérant qu’il incombe à l’employeur de prendre les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée (Cass. Soc. 12 juin 2024 n° 23-13975).

De sorte que seule importe cette finalité, les moyens pour y parvenir n’étant pas limités.

Mais une démarche active de l’employeur est rarement spontanée.

Elle n’intervient habituellement qu’au terme de vaines tentatives de pression sur l’intéressé dans le but de de minorer ou de relativiser les faits qu’il dénonce.

En règle générale, l’évocation écrite, et non orale, par le salarié qu’il subit des faits de harcèlement, suffit à déclencher une « alerte rouge » du Responsable des Ressources Humaines, instruit par les laborieuses heures de formation qu’il a reçues sur le sujet.

L’enquête interne est alors l’instrument le plus communément utilisé.

Il s’agit de la réponse de l’employeur à son obligation de sécurité, soucieux de parer au procès en inaction qui pourrait lui être intenté.

Il lui faut dès lors mobiliser les ressources nécessaires pour diligenter ladite enquête.

Une enquête qui peut être orientée par l’employeur

L’expérience démontre que l’enquête interne conduite par l’employeur ne répond pas toujours, loin s’en faut, aux exigences d’impartialité requises.

Dans les entreprises structurées, la direction des ressources humaines peut être à la manœuvre et orienter les investigations afin de parvenir à une issue qu’elle aura déterminée par avance.

Les représentants du personnel ne sont pas toujours associés à l’enquête, et s’ils le sont, les manipulatioEnquête interne sous le contrôle de l'employeurns d’un directeur des ressources humaines, assuré de son pouvoir, ne sont pas à exclure.

Le zèle déployé à effectuer une enquête objective sera conditionné au niveau de pouvoir dans l’entreprise de l’auteur des agissements dénoncés.

Plus sa position sera élevée et/ou sa proximité avec le dirigeant avérée, moins l’enquête révélera les agissements litigieux qui lui sont reprochés.

Le choix des salariés auditionnés, les questions qui leur seront posées, et leur retranscription, la rédaction du rapport d’enquête et ses conclusions, sont autant d’éléments sur lesquels l’employeur, qui dirige l’enquête interne, peut peser.

Au final, il est assez rare que les conclusions du rapport corroborent les faits dénoncés par le salarié et aboutissent à la sanction de l’auteur des agissements.

Ce n’est que lorsque ce salarié n’a pas de position de pouvoir dans l’entreprise que l’espoir d’une instruction objective peut être fondé.

L’appréciation par les Juges de la valeur probante du rapport d’enquête

Consciente de la réalité qui vient d’être décrite, et de la manipulation qui peut être exercée par l’employeur, la Cour de cassation a confié aux Juges du fond le soin d’apprécier la valeur qu’il convient d’accorder au rapport d’enquête (Cass. Soc. 29 juin 2022 n° 21-11437, Cass. Soc. 18 juin 2025 n° 23-19022).

A titre d’illustration, on citera entre autres un arrêt récent relevant que les éléments de fait et de preuve soumis aux Juges leur avaient permis d’estimer que :

 La synthèse des entretiens effectués par les membres de la commission d’enquête ne constituait pas un élément objectif permettant d’établir l’existence d’un comportement harcelant de la part du salarié (Cass. Soc. 21 mai 2025 n° 24-12654).

Ces décisions présentent toutefois l’inconvénient qu’elles concernent des salariés auxquels des faits de harcèlement étaient reprochés, et qu’ils ont contesté devant la juridiction prud’homale.

Quid pour les salariés dont l’enquête n’a pas reconnu le harcèlement qu’ils subissaient ?

Les salariés victimes de harcèlement, et pour lesquels l’enquête interne a dédouané l’auteur de ces agissements, sont en réalité bien démunis.

Ils n’ont guère de recours contre le rapport d’enquête, dont ils n’ont habituellement qu’une connaissance sommaire qui se limite aux seules conclusions, défavorables.

La confiance dans l’employeur, auprès duquel ils fondaient des espoirs, est sérieusement érodée…

Une action judiciaire les expose à se voir opposer les conclusions négatives du rapport d’enquête.

Autant dire que leur avenir dans l’entreprise s’annonce sombre, les solutions qui s’offrent à eux n’étant guère nombreuses.

Dans les grandes entreprises, il est toujours possible d’envisager une mobilité interne, à supposer que l’employeur joue le jeu honnêtement (ce qui n’est pas gagné…).

Reste donc la rupture du contrat de travail, qui peut être négociée dans le meilleur des cas.

Enfin, lorsque le salarié a été placé en arrêt maladie par son médecin, et qu’il n’est pas apte à reprendre son poste, le médecin du travail devrait rendre un avis d’inaptitude.

L’enquête interne conduite par l’employeur comporte donc énormément d’incertitude et ne répond souvent pas aux espoirs que le salarié y avait placés.