Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Les changements de gouvernance ou de management au sein d’une entreprise sont susceptibles d’avoir de fortes incidences sur la relation de travail de certains salariés

Il arrive en effet qu’à la suite d’une réorganisation opérée après un changement d’actionnaire, d’une fusion, d’un regroupement entre plusieurs entités, ou de la restructuration d’un service… un salarié soit brusquement privé d’une partie importante de ses responsabilités, au point que son poste se trouve en réalité vidé de sa substance, alors même que son niveau de rémunération et l’intitulé de sa qualification sont inchangés.

Dans ce contexte, la Cour de cassation a énoncé par une décision importante, que :

lorsqu’un salarié s’était vu imposer un « appauvrissement de ses missions et de ses responsabilités », son poste étant vidé de sa substance, il s’en déduit l’existence d’une modification du contrat de travail imputable non à un tiers, mais à l’employeur (Cass. soc. 29 janvier 2014 n° 12-19479).

On se souvient de la dichotomie fondamentale entre la modification des « conditions de travail », relevant du pouvoir de direction de l’employeur, et comme telle, ne pouvant être refusée par le salarié sans risque de sanction, et la modification du « contrat de travail », dont la validité est subordonnée à l’accord du salarié.

La jurisprudence a établi la distinction suivante : la simple modification des tâches d’un salarié peut être décidée unilatéralement par l’employeur, car il s’agit d’une modification des conditions de travail ; en revanche, lorsque l’employeur réduit fortement le niveau de responsabilité d’un salarié, il procède à une modification unilatérale du contrat de travail.

En modifiant unilatéralement le contrat de travail du salarié, l’employeur commet un grave manquement ayant pour effet de lui faire supporter la rupture de la relation contractuelle et ses éventuelles conséquences indemnitaires.

Illustration à travers quelques décisions :

Il convient de préciser à cet égard qu’une des règles fondatrices en droit du travail prévoit que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi » (article L 1222-1 du Code du travail).

Nous avons choisi une sélection, non exhaustive, de décisions dans lesquelles la Cour de cassation a jugé que la diminution des responsabilités du salarié, auxquelles l’employeur avait procédé, était fautive.

La diminution du nombre de salariés placés sous la responsabilité de l’intéressé, la réduction de ses responsabilités hiérarchiques, l’amoindrissement de ses fonctions, la perte d’autonomie, ou la suppression d’avantages liés à ses fonctions, constituent autant d’indices à prendre en considération afin de déterminer s’il y a eu modification du contrat de travail.

– Après que le contrat de travail d’une salarié ait été transféré à une nouvelle entreprise, et que le comité d’entreprise ait été informé que le pôle auquel elle était affecté serait scindé en deux, la salariée avait fait valoir à son employeur qu’elle n’acceptait pas cette réorganisation qui engendrait une diminution de ses responsabilités et de son périmètre d’intervention, elle avait alors été licenciée pour faute.

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir jugé que la scission du pôle en deux entités distinctes avait eu pour effet de réduire fortement l’étendue des fonctions de l’intéressée et le niveau de ses responsabilités tels que prévus au contrat de travail, ainsi que l’équipe de salariés qu’elle encadrait, qui était passée de onze à six personnes ; elle a ainsi pu en déduire, que même si la rémunération et l’intitulé des fonctions n’avaient pas été affectés, l’amoindrissement des missions de la salariée et de son niveau d’autonomie constituaient une modification unilatérale du contrat de travail qui ne pouvait lui être imposée (Cass. soc. 30 mars 2011 n° 09-71824).

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– La réduction des responsabilités hiérarchiques d’un salarié et la suppression de ses fonctions commerciales ont constitué une modification de son contrat de travail, ayant pour effet la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 9 oct. 2013 n° 12-18829).

– Un employeur a été condamné à payer à un salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour modification du contrat de travail, après que les Juges ait constaté d’une part, que ses bulletins de paie mentionnaient les précédentes fonctions qu’il occupait, d’autre part que, sans avoir consenti à cette modification, il avait été privé de l’usage de son véhicule de fonction et d’un téléphone mobile (Cass. soc. 18 février 2015, n° 13-14696).

Une rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur

L’initiative de salariés, ayant saisi la juridiction prud’homale pour imputer à leur employeur la rupture du contrat de travail à la suite de la modification qu’il leur avait imposée, a été couronnée de succès dans de nombreuses situations :

A la suite d’une réorganisation, le champ d’intervention d’un salarié avait été réduit, puisque trois fonctions sur quatre lui avaient été retirées, qu’il n’avait plus aucun rôle dans le cadre des activités de développement commercial, administration des ventes et service clients, et qu’il ne conservait son autorité hiérarchique que sur deux cents personnes au lieu de sept cents auparavant.

De sorte que la modification unilatérale du contrat de travail de l’intéressé caractérisait un manquement grave de l’employeur empêchant la poursuite de ce contrat (Cass. soc. 12 fév. 2016, n° 14-26829).

– La prise d’acte de la rupture du contrat de travail d’une salariée est justifiée après que son employeur l’ait privé d’une partie de ses responsabilités consistant dans l’encadrement et le suivi d’une équipe d’ingénieurs (Cass. soc. 4 novembre 2015 n° 13-14412).

– Une salariée était précédemment investie des fonctions de technico-commerciale devant s’exercer principalement chez les clients, avec la responsabilité de réaliser le chiffre d’affaires d’une zone qui lui avait été confiée, et ce avec l’assistance d’un collaborateur sur une partie de cette zone.

Les Juges ont considéré que la salariée avait été privée d’une partie des attributions, des responsabilités et de l’autonomie qui lui étaient reconnues aux termes de son contrat de travail, de sorte que, même si son titre de technico-commercial lui avait été conservé, elle avait, de fait, été rétrogradée dans l’emploi d’assistante commerciale qu’elle occupait antérieurement.

Ils déduisent de ces constatations qu’une telle diminution des responsabilités et des prérogatives de la salariée constituait une modification du contrat de travail, justifiant sa résiliation judiciaire aux torts de l’employeur (Cass. soc. 25 sept. 2013 n° 12-21178).

Avant-projet de réforme du Code du travail
responsabilité du salarié en cas de faute lourdeLa faute lourde ne prive plus des congés payés