Hi, How Can We Help You?

Blog

Un salarié peut-il être sanctionné pour avoir refusé de répondre à un appel téléphonique de son employeur en dehors de son temps de travail ?

Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Le contexte

L’usage débridé des téléphones portables en toutes circonstances et les débordements horaires de leurs utilisateurs, dans un contexte professionnel, donnent parfois lieu à des pratiques contestables.

L’habitude de répondre aux appels de l’employeur en dehors des heures et des jours de travail peut créer dans les entreprises une perte de sens, où ce qui devrait être exceptionnel est érigé en règle.

L’existence des forfaits-jours, pour les salariés autonomes, vient brouiller encore un peu plus les pistes et entretenir la confusion.

D’où la question : un salarié doit-il être joignable sur son téléphone personnel et répondre à son employeur en dehors de ses heure et jour de travail ?

Refus de répondre aux appels téléphoniques de l’employeur et mise en danger de la vie d’autrui….

La situation peut être sérieuse, au point que l’employeur brandisse pour exiger du salarié qu’il lui réponde, une menace sur la vie d’autrui.

L’heure était donc grave !

C’était l’ultime l’argument qui était invoqué dans une première affaire.

droit à la déconnexion du salarié

Celle-ci concernait un ambulancier, auquel son employeur reprochait d’avoir sciemment couru le risque de négliger une urgence et de mettre en danger un patient en refusant de répondre à trois appels téléphoniques qu’il lui avait passé sur son téléphone portable personnel entre 12 heures 30 et 13 heures ».

Le salarié avait été licencié pour faute grave, au motif, rien de moins, qu’il avait mis la vie de personnes en danger et, par son comportement, compromis l’avenir de l’entreprise.

Le salarié avait contesté son licenciement, mais s’était heurté au mur de la Cour d’appel, qui avait approuvé l’employeur de ne pas avoir conservé l’intéressé à son service, même pendant la durée limitée du préavis, celui-ci ayant bafoué l’éthique de la profession.

La Cour de cassation l’avait cependant recadré en énonçant que :

« le fait de n’avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif et ne permet donc pas de justifier un licenciement disciplinaire pour faute grave » (Cass. Soc. 17 fév. 2004 n° 01-45889).

En d’autres termes, qu’un salarié refuse de répondre à un appel sur son téléphone portable personnel en dehors de ses horaires de travail n’est pas une faute, et ne justifie donc pas son licenciement.

La référence à une pratique habituelle est-elle un argument valable ?

Il s’agissait, dans cette nouvelle affaire, d’un chauffeur routier poids lourd, salarié d’une entreprise depuis 2008.

Il avait fait l’objet d’un avertissement fondé sur la circonstance que, bien qu’étant en repos, il ne s’était pas renseigné sur son travail du lendemain.

L’employeur affirmant qu’avant la dégradation de leurs relations, l’intéressé s’était toujours conformé à la pratique suivant laquelle il lui revenait de se renseigner sur le travail qui l’attendait le jour suivant l’issue d’un repos.

Or, non seulement l’audacieux n’avait pas répondu aux appels de son employeur sur son téléphone personnel pendant son jour de repos, mais pour aggraver son cas, il n’avait pas non plus répondu à ses SMS.

Là encore, après avoir été licencié (pour un autre motif), le salarié avait demandé à la juridiction prud’homale d’annuler l’avertissement qui lui avait été notifié.

Et là encore… la Cour d’appel avait donné raison à l’employeur.

Elle avait retenu qu’antérieurement, le salarié s’est toujours conformé à la pratique suivant laquelle il lui revenait de se renseigner sur le travail pour le jour suivant un repos.

Elle considérait en outre que le fait de devoir prendre contact avec l’employeur la veille d’une reprise de service concernant les missions à réaliser n’est pas proscrit par la convention collective applicable au transport routier, et n’était pas anormal compte tenu du secteur d’activité.

Ces arguments sont balayés par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui réitère que « le fait de n’avoir pu être joint en dehors des horaires de travail sur son téléphone portable personnel est dépourvu de caractère fautif et ne permet donc pas de justifier une sanction disciplinaire » (Cass. Soc. 9 oct. 2024, n° 23-19063).

Ainsi, voilà qui est dit clairement : un salarié ne peut ni faire l’objet d’un avertissement, ni être licencié, pour avoir refusé de répondre à un appel de son employeur sur son téléphone personnel en dehors de son temps de travail.

Le droit au repos et à la déconnexion du salarié

De longue date, la jurisprudence a posé le principe que le salarié n’était pas constamment à la disposition de l’employeur, et qu’il avait un droit au repos.

« Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles », selon la formule couramment consacrée.

Les périodes de repos ne peuvent être bénéfiques que pour autant que le salarié soit réellement déconnecté.

Au demeurant, de nombreuses entreprises imposent au salarié une obligation de déconnexion au-delà d’une certaine heure, cette obligation étant formalisée dans une charte.pas de sanction disciplinaire pour avoir refusé de répondre à un appel de l'employeur sur le téléphone personnel

Rappelons à cet égard que dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire sur les conditions de travail, une discussion à ce sujet doit être engagée entre les partenaires sociaux.

Celle-ci portant notamment sur « les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale ».

A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du CSE, qui définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques (article L 2242-17,7° du code du travail).

Cette obligation ne s’applique cependant que dans les entreprises qui disposent d’une section syndicale (donc sauf exception, de plus de 50 salariés).

Une utilisation « raisonnable » du téléphone portable

Si l’employeur n’est pas fondé à téléphoner au salarié en dehors de son temps de travail, le salarié, de son côté, ne doit pas non plus faire un usage abusif de son téléphone portable personnel sur son lieu de travail.

Dans une récente affaire, la Cour d’appel de Montpellier a ainsi validé le licenciement pour faute grave d’une salariée à laquelle il était notamment fait grief d’un un usage abusif de son téléphone portable personnel à des fins personnelles.

L’employeur prétendant qu’il sonnait à longueur de journée et qu’il l’avait fait remarquer oralement à plusieurs reprises à l’intéressée sans aucun effet (Cour d’appel de Montpellier, 6 mars 2024 n° 21/00052).

Il est donc également exigé des salariés qu’ils s’abstiennent d’une utilisation abusive de leur téléphone personnel pendant leur temps de travail.

Tout comme évidemment, il leur est recommandé de s’abstenir d’un usage abusif, à des fins personnelles, du téléphone professionnel que l’employeur met à leur disposition…