Par Franc Muller, Avocat licenciement Paris

 

Les fondements à la prévalence de la vie personnelle et familiale du salarié

Les décisions prises par l’employeur sous couvert du pouvoir de direction dont il dispose sont parfois lourdes de conséquences pour le salarié dès lors qu’elles sont susceptibles d’affecter sa vie personnelle et familiale.

Mutation d’une région à une autre en invoquant une clause de mobilité, changement des horaires de travail, contrôle permanent de son activité…. Autant de mesures qui peuvent impacter l’existence personnelle du salarié et rejaillir sur sa vie privée et familiale.

Le Code du travail érige toutefois une (mince) barrière contre les décisions unilatérales que l’employeur peut vouloir imposer au salarié.

L’article L. 1121-1 précise en effet que, « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Cet article est à combiner avec l’article 9 du Code civil, qui énonce que « chacun a droit au respect de sa vie privée » et à son prolongement international par l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

C’est donc essentiellement sur ces fondements que sont articulés les arrêts de la Chambre sociale de la Cour de cassation faisant barrage à des décisions de l’employeur restreignant la liberté individuelle du salarié.

En voici trois illustrations récentes faisant prévaloir sa vie personnelle sur les considérations injustifiées de l’employeur.

Changement d’affectation du salarié

Un salarié travaillant en qualité chef de service études pour la société Bouygues bâtiment international se voit proposer une mutation à Cuba ou au Nigéria, l’employeur invoquant la clause de mobilité qui figure dans son contrat de travail.

L’intéressé s’y oppose, soutenant que ces affectations sont déloyales alors que l’entreprise dispose d’autres possibilités.

Il est licencié pour faute grave, qui est le motif habituellement utilisé dans ce type de situations, l’employeur persistant à s’appuyer sur la clause de mobilité.

Le salarié conteste son licenciement, estimant que la mise en œuvre de cette clause contractuelle portait une atteinte excessive à ses droits à une vie personnelle et familiale au regard notamment des nécessités de scolarisation de ses enfants.

Il affirme que son licenciement est en réalité lié au souhait de la société de se séparer de lui en raison d’une conjoncture difficile et d’une volonté de baisser le nombre d’expatriés.La clause de mobilité n'est pas applicable si elle affecte la vie privée et familiale du salarié

Après avoir échoué en appel, le salarié obtient satisfaction devant la Cour de cassation.

La Haute Juridiction reprochant aux Juges d’appel de ne pas avoir recherché si la mise en œuvre de la clause de mobilité ne portait pas atteinte aux droits du salarié à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché (Cass. Soc. 28 juin 2023 n° 22-11227).

Changement d’affectation accompagné d’un changement d’horaire

Moins « exotique » et plus hexagonal, le litige opposant deux salariés d’un abattoir de viande et de volailles à leur employeur.

La société qui les employait les avait informés de leur affectation sur un nouveau site à la suite de la perte d’un marché.

Dans la foulée, l’employeur en profitait pour modifier leurs horaires de travail, ainsi que leur rémunération.

Il prétendait que le contrat de travail, signé par les intéressés, lui accordait cette possibilité, de sorte qu’ils n’avaient rien à y redire.

Bis repetita, les salariés ayant refusé ces modifications de leur contrat de travail sont licenciés pour faute grave.

Ils font valoir, devant la juridiction prud’homale, que ce changement d’affectation portait une atteinte excessive à leur vie personnelle et familiale compte tenu de la distance, l’un étant affecté à 221 kms l’autre à 170 kms de son domicile, sur un site en pleine campagne éloigné d’une agglomération.

En outre, ils considéraient que le passage, même partiel, d’un horaire de nuit à un horaire de jour et d’une baisse de la rémunération ne pouvait leur être imposé.

Là encore, la Cour d’appel avait embrassé la thèse de l’employeur, dès lors que le contrat de travail autorisait ces changements.

La décision est heureusement censurée, la Cour d’appel se voyant également reprocher de ne pas avoir recherché si le changement d’affectation des salariés ne s’accompagnait pas du passage, même partiel, d’un horaire de nuit à un horaire de jour et d’une baisse de la rémunération ni si la mise en œuvre de la clause de mobilité ne portait pas une atteinte excessive à leur droit à une vie personnelle et familiale (Cass. Soc. 21 oct. 2020 n° 18-23907).

Collecte illicite des données par l’employeur et atteinte à la vie privée du salarié

Un salarié employé en qualité de chauffeur de poids lourd est d’abord mis à pied à titre conservatoire, puis licencié trois mois plus tard pour faute grave.

L’employeur lui fait grief d’avoir rajouté plus de 250 km par jour au kilométrage du camion qui lui était confié en s’en servant pour son usage personnel.

Le vertueux employeur s’afflige de la fatigue occasionnée et du risque supplémentaire pour les temps de conduite, alors qu’il lui incombe de respecter une obligation de sécurité ; ce comportement justifiant donc la mise à pied de l’intéressé (pour son bien, on l’avait compris…).

Il se justifie en produisant les relevés de géolocalisation du véhicule prouvant les nombreux déplacements du salarié effectués avec le véhicule.

Le salarié se défend en soutenant le caractère illicite de recueil de ces données et la grande distance des déplacements que lui imposait l’employeur, l’empêchant de repasser au dépôt restituer le camion.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel qui l’avait débouté.

La collecte des données de localisation effectuée par l’employeur à l’aide du système de géolocalisation installé sur le véhicule professionnel mis à disposition du salarié était destinée à la protection contre le vol et la vérification du kilométrage.

L’employeur l’avait dévoyée en l’utilisant pour surveiller le salarié et contrôler sa localisation en dehors de son temps de travail, ce dont il résultait qu’il avait porté atteinte à sa vie privée et que ce moyen de preuve tiré de la géolocalisation était illicite.

Son licenciement est également invalidé, la Haute Juridiction critiquant les Juges d’appel pour ne pas avoir recherché si l’obligation faite au salarié de découcher sur son lieu de chantier ou à proximité immédiate d’une zone de confort l’empêchait de rentrer quotidiennement chez lui après les heures de travail pour se rendre auprès de sa mère gravement malade.

Et si le contrôle de sa localisation en dehors du temps de travail ne portait pas atteinte aux droits du salarié à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché (Cass. soc. 22 mars 2023 n° 21-24729).

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