Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Le cadre légal

Une nouvelle immixtion de la sphère religieuse dans la relation de travail donne à la Chambre sociale de la Cour de cassation l’occasion de réaffirmer une jurisprudence qui est déjà solidement établie.

On se souvient que le droit européen a largement influencé le droit positif, d’abord en inspirant l’introduction d’un nouvel article dans le Code du travail, prévoyant que le règlement intérieur de l’entreprise pouvait contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant en conséquence la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché (article L 1321-2-1 du Code du travail).

Il est également admis que l’employeur peut ériger le principe de neutralité dans l’entreprise par une note de service respectant ces exigences.

D’autre part, la Chambre sociale considère, également, dans le sillage de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché.

Elle a ensuite précisé que cette exigence professionnelle essentielle et déterminante renvoyait à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause, mais ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.

Précédentes décisions

Deux arrêts importants ont déjà été rendus à ce sujet.

Dans une affaireune vendeuse avait été licenciée pour avoir refusé de retirer son foulard islamique, l’employeur invoquant l’image de l’entreprise au regard de l’atteinte à sa politique commerciale, la chambre sociale avait jugé que ce licenciement était discriminatoire, et par voie de conséquence nul, dès lors que l’atteinte alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un commerce de détail d’habillement ne saurait constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante (Cass. Soc. 14 avril 2021 n° 19-24079).

Une solution identique avait été retenue pour le licenciement d’un salarié (affecté au Yémen) auquel l’employeur reprochait le port d’une barbe, qu’il qualifiait de provocation politique et religieuse.

Or, l’employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni note de service précisant la nature des restrictions qu’il entendait imposer au salarié.

En outre, la Cour régulatrice énonçait que si les demandes d’un client relatives au port d’une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante, en revanche l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise pouvait, lui, justifier des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permettre à l’employeur d’imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci était rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif.

Ces conditions n’étaient pas réunies au cas particulier, et le licenciement reposait, au moins pour partie, sur le motif discriminatoire que l’employeur considérait le port de la barbe comme l’expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses (Cass. Soc. 8 juillet 2020 n° 18-23743).

Refus d’accepter une mutation en raison de ses convictions religieuses

Dans cette nouvelle affaire, c’est un chef d’équipe travaillant dans une entreprise de nettoyage qui avait refusé sa mutation, en dépit de la clause de mobilité que comportait son contrat de travail.salariée licenciement

L’employeur ayant perdu le chantier sur lequel il était affecté, l’avait d’abord muté sur un autre site, que l’intéressé avait refusé.

Il l’avait ensuite muté sur le site d’un cimetière, que le salarié avait à nouveau refusé en invoquant dans un premier temps une incompatibilité d’horaires avec ses autres obligations professionnelles.

L’employeur avait alors modifié ses horaires de travail tout en maintenant son affectation sur ce site.

Le salarié avait refusé cette mutation en affirmant cette fois que ses convictions religieuses hindouistes lui interdisaient de travailler dans un cimetière.

L’employeur l’avait sanctionné son refus par une mutation disciplinaire sur le site d’une autre société située dans le secteur géographique.

Le salarié avait à nouveau refusé cette mutation et était resté inflexible ; l’employeur avait fini par le licencier pour cause réelle et sérieuse.

L’intéressé contestait son licenciement et demandait l’annulation de la mutation disciplinaire.

La Cour d’appel avait accueilli ses demandes, considérant que le refus du salarié était justifié par ses convictions religieuses, ce qui relève des libertés et droit fondamentaux, de sorte qu’il appartenait à l’employeur de rechercher, tout en tenant compte des contraintes de l’entreprise, s’il lui était possible de proposer un autre poste compatible avec ces exigences, ce qu’il n’avait pas fait.

Elle avait en conséquence annulé la mutation disciplinaire du salarié en raison de son caractère discriminatoire fondé sur ses convictions religieuses et avait réservé le même sort au licenciement prononcé en partie pour son refus de rejoindre le dernier site, qui en était la conséquence.

La décision est cassée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui valide au contraire le licenciement.

Elle estime que la mutation disciplinaire prononcée par l’employeur était justifiée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au regard d’une part de la nature et des conditions d’exercice de l’activité du salarié et de la clause de mobilité légitimement mise en œuvre par l’employeur, d’autre part du caractère proportionné au but recherché de la mesure, laquelle permettait le maintien de la relation de travail par l’affectation du salarié sur un autre site de nettoyage ; elle n’était donc pas discriminatoire et par conséquent le licenciement n’était pas nul (Cass. Soc. 19 janv. 2022 n° 20-14014)

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