Par Franc Muller – Avocat rupture conventionnelle, Paris

 

La rupture conventionnelle : un mécanisme bien ancré dans l’univers professionnel

Le nombre de ruptures conventionnelles est en hausse constante depuis l’instauration de ce dispositif en 2008, à l’exception d’une courte parenthèse au deuxième trimestre 2020 en raison de la particularité de la période de confinement que l’on a connue et de ses conséquences sur l’emploi.

Les chiffres sont évocateurs : 37 595 ruptures conventionnelles conclues au premier trimestre 2009, 77 914 au premier trimestre 2016, 129 643 au dernier trimestre 2022 (derniers chiffres publiés par la direction du Ministère du travail).

Derrière ces chiffres se cachent des réalités individuelles et des circonstances qui peuvent prêter à équivoque.

Une initiative de la rupture conventionnelle partagéee

Certes, et les employeurs ont tendance à se focaliser sur cette situation, les salariés sont parfois à l’initiative d’une demande de rupture conventionnelle.

Les raisons en sont habituellement de deux ordres : 1) l’existence d’un autre projet professionnel associée à la perspective de partir avec une indemnité et la certitude de bénéficier de l’assurance chômage pendant une certaine durée.

2) Et le cas est loin d’être marginal, des conditions de travail qui sont telles que le salarié éprouve le besoin de quitter l’entreprise, la rupture conventionnelle lui offrant ainsi une planche de salut.

Il lui faudra alors convaincre l’employeur d’accéder à sa demande, ce qui n’est une mince affaire dès lors que celui-ci devra bourse délier.

Mais c’est fréquemment l’employeur qui est à l’initiative de la rupture conventionnelle.

Cette volonté peut trouver un écho favorable chez certains salariés qui y ont avantage et essaieront alors d’obtenir une indemnité qui leur convienne, au prix souvent d’une âpre négociation.

Mais la rupture peut être moins consensuelle et résulter d’une décision unilatérale de l’employeur, Sauf fraude ou vice du consentement, pas d'annulation d'une rupture conventionnellequi impose ses vues d’autorité et privilégie ce mode de rupture du contrat de travail à un licenciement (qui a le mérite de la simplicité procédurale).

Le salarié qui ne souhaitait pas quitter l’entreprise se trouvera alors fort démuni !

Il sera en effet confronté au dilemme qui se résume à céder à cette décision, en tentant là aussi d’optimiser au mieux sa négociation de départ, ou poursuivre l’exécution de son contrat de travail tout en sachant que son employeur ne le souhaite pas, ce qui n’est guère de bon augure pour la suite…

La jurisprudence se montre très exigeante sur les conditions d’annulation d’une rupture conventionnelle

Le salarié qui cède à l’insistante pression de l’employeur aura toutes les peines du monde à pouvoir ensuite faire requalifier la rupture de son contrat de travail en licenciement injustifié devant la juridiction prud’homale.

Une telle action se heurte à la réalité judiciaire et aux exigences posées par la Chambre sociale de la Cour de cassation pour y satisfaire.

Ce n’est en effet qu’en cas de fraude ou de vice du consentement (dol, violence morale…) que l’annulation de la rupture conventionnelle est encourue, auxquels s’ajoute l’absence de remise, ou de signature, d’un exemplaire au salarié.

Non seulement les possibilités sont donc très limitées, mais la charge de la preuve appartient au salarié qui devra, par exemple, faire la démonstration qu’il a été victime d’une fraude de l’employeur qui l’a intentionnellement manipulé, ou qu’il l’a menacé d’un licenciement pour faute grave s’il ne signait pas.

Sauf à ce que l’employeur ait été extrêmement négligent, ou très présomptueux…, les éléments écrits ou les attestations de collègues pour établir ces faits seront souvent difficiles à obtenir.

La dernière décision en date s’inscrit malheureusement dans cette tendance.

Refus d’annulation d’une rupture conventionnelle faisant suite à un licenciement verbal

Un salarié conclut une rupture conventionnelle avec son employeur le 24 mars 2017, prévoyant comme date d’effet prévisible le 20 avril 2017.

Plus d’un an après cette date, le 20 juin 2018, l’intéressé saisit le Conseil de Prud’hommes d’une demande d’annulation de la rupture conventionnelle et du paiement d’indemnités s’y rapportant.

L’employeur oppose au salarié l’irrecevabilité de son action, en s’appuyant sur les dispositions de l’article L 1237-14 dernier alinéa du Code du travail, qui prévoit que « le recours juridictionnel doit être formé, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date d’homologation de la convention ».

Il allègue que ce délai étant écoulé, l’action du salarié ne peut prospérer.

Or, le salarié, approuvé par la Cour d’appel, soutient au contraire que ce délai ne s’applique pas à l’action en reconnaissance d’un licenciement verbal, la contestation d’un licenciement pouvant être entreprise dans un délai de deux ans (délai désormais réduit lui aussi à 12 mois, article L 1471-1 du Code du travail).

La Chambre sociale de la Cour de cassation donne raison à l’employeur.

Reprenant une solution qu’elle avait affirmée en 2015, elle énonce que « lorsque le contrat de travail a été rompu par l’exercice par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue ».

La signature d’une rupture conventionnelle met ainsi obstacle à l’invocation du licenciement verbal antérieur.

La Haute Juridiction considère que les parties ayant conclu le 24 mars 2017 une convention de rupture qui n’avait pas été remise en cause, il en résultait qu’en signant une rupture conventionnelle, les parties avaient d’un commun accord renoncé au licenciement verbal antérieur invoqué par le salarié, étant rappelé que le délai de prescription prévu à l’article L. 1237-14 du code du travail était applicable (Cass. Soc. 11 mai 2023 n° 21-18117).

La voie pour remettre en cause la validité d’une rupture conventionnelle est donc extrêmement étroite.

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