Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le contexte

Depuis septembre 2017, de nombreux salariés le savent désormais, la Loi a enserré dans un barème le montant des indemnités qui leurs sont accordées par le Conseil de Prud’hommes lorsque leur licenciement est reconnu injustifié.

Ce barème, affublé du qualificatif de « barème Macron », du nom de son génial inspirateur, est une punition pour les salariés ; il détermine le montant minimum et le montant maximum auquel ils peuvent prétendre en fonction de leur ancienneté dans l’entreprise (article L 1235-3 du Code du travail).

Il s’avère très pénalisant pour les salariés ayant une faible ancienneté dans l’entreprise ; ainsi un salarié qui a moins de deux ans d’ancienneté ne pourra guère espérer obtenir une indemnité supérieure à deux mois de salaire.

Lorsque le salarié a plus de deux ans d’ancienneté, le montant minimum est de 3 mois de salaire et augmente progressivement, selon l’ancienneté, pour atteindre un maximum de 20 mois de salaire pour les salariés ayant 29 ans d’ancienneté et plus.

Précisons toutefois que le barème n’est pas applicable pour les salariés dont le licenciement est nul en raison de la violation par l’employeur d’une liberté fondamentale (liberté d’expression, égalité homme/femme, etc…) de harcèlement (moral ou sexuel), d’une discrimination, de la violation d’une protection accordée par la loi (mandat représentatif, maternité ou paternité…).

Dans ce cas, l’indemnité ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois quelle que soit l’ancienneté de l’intéressé (article L 1235-3-1 du Code du travail).

Un barème contesté

L’injustice de ce barème, affligeant pour les salariés mais une bénédiction pour les employeurs, n’a pas manqué de soulever une réprobation parmi les premiers et leurs défenseurs.

Les principales critiques invoquaient son absence de conformité aux engagements internationaux de la France, en n’assurant pas au salarié la réparation intégrale du préjudice causé par son licenciement.

En limitant le montant maximal de l’indemnité, il est clair que ce barème ne permet de prendre en considération que de façon imparfaite la situation de chaque salarié, dès lors que la somme allouée est parfois impuissante à couvrir l’intégralité du préjudice subi par certains.Le barème Macron une nouvelle fois confirmé par la Cour de cassation

Or, la Charte Sociale Européenne (article 24) le convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail (article 10) prévalent sur le droit national et offrent un support juridique intéressant pour contourner l’obstacle du barème.

L’une et l’autre de ces conventions stipulent que le salarié licencié sans motif valable a droit à une indemnité adéquate ou à toute autre forme de réparation appropriée.

Certains Juges du fond ont donc fait application de ces textes en accordant à des salariés des indemnités supérieures au barème Macron lorsqu’ils estimaient que leur situation personnelle le justifiait.

Jusqu’à ce que la Chambre sociale de la Cour de cassation vienne sonner le glas…

Un barème validé

Dans une décision de principe rendue en mai 2022, la Cour régulatrice validait malheureusement le barème en le jugeant compatible avec ces deux textes internationaux.

Affirmant que le barème « permettait raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi et assurait le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur, de sorte qu’il était de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée » (Cass. Soc. 11 mai 2022 n° 21-14490).

Cet arrêt refermait donc avec lui tout espoir de voir juger le barème illégal.

De fait, on constate que celui-ci est constamment appliqué par les Conseils de Prud’hommes et la plupart des Cours d’appel.

Une récente illustration vient nous rappeler que la position intransigeante de la Cour de cassation ne tolère aucune contestation.

Un rappel à l’ordre de la Cour de cassation aux Juges du fond qui résistent

S’appuyant sur les deux textes internationaux précités, la Cour d’appel de Grenoble avait eu l’audace de condamner un employeur, dont le licenciement était infondé, au paiement d’une indemnité supérieure à celle retenue par le maximum du barème Macron.

L’affaire concernait un salarié licencié après plus de 10 ans d’ancienneté.

La Cour d’appel lui avait accordé une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant de 23 000 €, supérieure au plafond de dix mois prévu.

Elle avait énoncé qu’il appartient toujours au juge d’apprécier souverainement l’étendue du préjudice subi par le salarié du fait de la perte injustifiée de son emploi et, le cas échéant, de laisser inappliqué le barème.

Or, au vu des éléments fournis par le salarié, elle avait jugé que le barème n’était pas de nature à assurer la réparation appropriée de la perte injustifiée de l’emploi, de sorte qu’il était insuffisant à indemniser le salarié de la perte injustifiée de son emploi imputable à l’employeur au vu de l’ensemble des justificatifs de préjudice subi.

Cette motivation est désapprouvée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui la rappelle sèchement à l’ordre.

La Cour régulatrice affirme « qu’il appartenait seulement (à la Cour d’appel) d’apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L 1235-3 du code du travail » (Cass. Soc. 11 oct. 2023 n° 21-24857).

Petit guide d’interprétation à l’attention des Juges du fond

La Cour de cassation, qui a notamment vocation à unifier l’interprétation du droit, livre aux Juges sa position, espérant probablement mettre un terme aux voies divergentes qui avaient pu se faire entendre.

La situation du salarié doit donc être appréciée dans le cadre de la fourchette déterminée par le barème.

Si elle ne réfute pas l’application directe de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, c’est pour mieux énoncer que les dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail (édictant le barème) sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de cette Convention.

Sale temps pour les salariés… !

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