Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Le barème Macron n’en finit pas d’être contesté

On ne présente plus désormais l’inévitable barème Macron, qui est progressivement rentré dans le paysage juridique mais contre lequel, fort heureusement, certains avocats continuent de s’élever.

La Cour d’appel de Paris (pôle 6, 11ème Chambre) vient de donner raison à l’un d’eux en jugeant que ce barème devait être écarté lorsque le montant qu’il prévoit ne correspond pas à une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi par un salarié injustement licencié, de sorte qu’il contrevient aux dispositions de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT.

Un bref retour en arrière s’impose pour rappeler le contexte ayant suivi l’introduction de ce barème dans le Code du travail et les remous auquel il a donné lieu.

Quelques mois après avoir été élu, le Président Macron a tenu à faire inscrire dans la Loi un barème fixant le montant maximum de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse alloué par le Juge à un salarié injustement licencié (ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail).

Ce barème fixe un montant qui varie entre 1 et 20 mois de salaire selon l’ancienneté du salarié, une indemnité de 20 mois constituant le maximum accordé aux salariés ayant 29 ans d’ancienneté et plus.

A partir de deux ans d’ancienneté (dans une entreprise de plus de 11 salariés), le montant minimum est de 3 mois de salaire, contre 6 mois avant la réforme, le maximum étant de 3,5 mois (la fourchette est étroite) et il augmente progressivement avec l’ancienneté jusqu’à atteindre 20 mois.

Cette décision, éminemment politique, visait à rassurer les employeurs et « à les encourager à embaucher » dès lors qu’ils pouvaient évaluer le montant des indemnités qu’ils risquaient de devoir payer en cas de condamnation par la juridiction prud’homale.

Si son effet sur les embauches n’a rien eu de probant, le barème a vraisemblablement contribué à dissuader de nombreux salariés de contester leur licenciement, le nombre de saisines des Conseils de Prud’hommes étant en baisse constante.

Rapidement, des voix se sont fait entendre pour remettre en cause la légalité du barème

La vision univoque qu’il offre, centré sur les intérêts de l’employeur sans se soucier du préjudice que subissait le salarié injustement licencié, est profondément injuste.rémunération variable du salarié

La contestation s’appuyait sur deux textes internationaux, l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et l’article 24 de la Charte Sociale Européenne, qui disposent tous deux que le salarié dont le licenciement est injustifié a droit à une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation appropriée.

Dans l’ordonnancement juridique, ces textes internationaux prévalent sur le droit interne, ainsi que l’a d’ailleurs jugé la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui avait consacré l’application directe de la convention n° 158 de l’OIT (Cass. Soc. 29 mars 2006 n° 04-46499).

Jusqu’en juillet 2019, plusieurs juridictions du fond avaient approuvé cette analyse et écarté le barème, jugé illégal, en retenant un montant d’indemnité supérieur, adapté à la réalité du préjudice subi par le salarié, se fondant plus particulièrement sur la convention n° 158 de l’OIT.

Ce mouvement a cependant  grande partie été freiné par un avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019, dans sa formation plénière, qui avait jugé que le barème Macron était compatible avec les stipulations de la convention n° 158 de l’OIT, et évincé l’effet direct en droit interne de la Charte Sociale Européenne dans un litige entre particuliers (Ass. Plénière, avis du 17 juill. 2019 n° 19-70010).

Depuis lors, les Conseils de prud’hommes sont majoritairement rentrés dans le rang, faisant une stricte application du barème, mais la fronde ne s’est jamais vraiment tarie pour autant, quelques Cours d’appel reconnaissant la primauté du texte international.

Les juridictions qui résistent tiennent notamment compte, pour apprécier le préjudice subi par le salarié, de son âge, de ses difficultés à retrouver un emploi, de sa situation personnelle et de la diminution de ses ressources.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris s’inscrit dans cette continuité.

Une salariée, âgée de 53 ans et ayant 4 ans d’ancienneté, licenciée pour motif économique, avait contesté la légitimité de son licenciement devant la juridiction prud’homale.

Déboutée par le Conseil de Prud’hommes de Bobigny, elle avait saisi la Cour d’appel de Paris, qui a jugé que la réalité des difficultés économiques alléguées par l’employeur n’était pas caractérisée et qu’il n’avait pas respecté son obligation de reclassement, de sorte que le licenciement de la salariée était privé de cause réelle et sérieuse.

Puis, interprétant l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, la Cour énonce que le terme « adéquat » doit être compris comme réservant aux États parties une marge d’appréciation ».

Elle ajoute qu’au regard de l’ancienneté de l’intéressée et de la taille de l’entreprise, le montant auquel elle peut prétendre, en fonction du barème, est compris entre 3 et 4 mois de salaire, « ce qui représente à peine à peine la moitié du préjudice subi en termes de diminution des ressources financières depuis le licenciement ».

Compte tenu de la situation concrète et particulière de la salariée, âgée de 53 ans à la date de rupture et de 56 ans au jour où elle statue, la Cour estime que le montant du barème Macron ne permet pas une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi, compatible avec les exigences de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT, en conséquence, il y a lieu d’écarter l’application du barème (C.A Paris 16 mars 2021, pôle 6 chambre 11, n° 19 :08721).

La salariée se voit allouer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant équivalent à un peu plus de 8 mois de salaire, là où le montant maximum du barème était de 5 mois.

On ne saurait que trop approuver cet arrêt à la motivation juste et… appropriée.

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