Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Lanceur d’alerte et liberté d’expression

Si la liberté d’expression est une liberté fondamentale garantie par la Constitution ainsi que par plusieurs conventions internationales (dont la Convention Européenne des Droits de l’Homme), force est de constater que cette liberté ne vaut dans l’entreprise que tant qu’elle ne se heurte pas au pouvoir de l’employeur.

Elle pèse en effet d’un poids bien relatif lorsque le salarié se dresse pour dénoncer les pratiques litigieuses commises ou couvertes par son employeur.

Le constat se répète invariablement, le salarié qui se hasarde à évoquer avec insistance les faits illicites ou frauduleux qu’il a découverts dans le cadre de son activité professionnelle peut considérer que ses jours dans l’entreprise sont comptés…

Il serait illusoire, ou naïf, d’imaginer qu’il bénéficiera du soutien de son employeur, celui-ci étant souvent davantage enclin en pareille circonstance à faire usage de son pouvoir disciplinaire pour congédier le gêneur plutôt qu’à le féliciter de sa vigilance.

Maigre consolation pour le salarié licencié, les lanceurs d’alerte ne sont pas démunis et bénéficient d’une protection légale propre à assurer la défense de leurs droits.

Depuis 2016, les dispositions destinées à protéger les lanceurs d’alerte ont été étendues de manière spécifique aux salariés ayant relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de leurs fonctions (article L 1132-3-3 du Code du travail).

Mais la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation limite cette protection par une stricte application du texte, exigeant des Juges qu’ils s’assurent que les faits dénoncés par le salarié relèvent bien de la qualification pénale de délit ou de crime (Cass. Soc. 4 nov. 2020 n° 18-15669).liberte d'expression reseaux sociaux

Le recours à la liberté d’expression est alors un rempart utile à brandir par le salarié licencié afin d’obtenir la nullité de son licenciement (Cass. soc. 30 juin 2016 n° 15-10557), comme vient l’illustrer une nouvelle affaire (dont les faits étaient en tout état de cause antérieurs à l’instauration de l’article L 1132-3-3 dans le code du travail).

Salarié dénonçant des pratiques contraires à la déontologie professionnelle de son employeur

Un salarié, employé comme expert-comptable et commissaire aux comptes dans un cabinet d’audit et d’expertise comptable, a connaissance dans l’exercice de ses missions de faits qui enfreignent les règles déontologiques de cette profession.

Le 3 février 2011, il écrit à son employeur, évoquant les difficultés d’ordre déontologique qu’il a rencontrées et lui demande de pouvoir en discuter avec lui rapidement.

Le 7 mars suivant, le salarié est convoqué à un entretien préalable à son licenciement, entretien fixé au 15 mars 2011.

La veille de l’entretien préalable, le 14 mars 2011, en l’absence de réponse écrite à sa lettre du 3 février, l’intéressé avait saisi la Compagnie régionale des commissaires aux comptes des difficultés déontologiques qu’il avait relevées à l’occasion de ses missions.

Il est licencié pour faute grave par lettre du 18 mars 2011, lui faisant plusieurs griefs, dont celui relatif à des menaces de saisie de la Compagnie des commissaires aux comptes et au dénigrement de son employeur.

Le salarié conteste son licenciement et fait valoir qu’il est entaché de nullité car portant atteinte à sa liberté d’expression.

La chambre sociale de la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir accueilli favorablement cette demande (Cass. Soc. 19 janv. 2022 n° 20-10057).

Elle énonce solennellement, qu’en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est frappé de nullité.

La Cour avait justement relève que la procédure de licenciement avait été mise en œuvre concomitamment à la saisine par le salarié de l’organisme professionnel et après que l’employeur ait refusé toute explication sur cette situation, son licenciement, pour avoir relaté des faits dont il avait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, éventuellement de nature à caractériser une violation du code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes, sans qu’ils aient été dénoncés de mauvaise foi, est en conséquence nul.

Le comportement de l’employeur, qui avait violé ses obligations déontologiques et sanctionné le salarié pour avoir dénoncé ses pratiques, est légitimement condamné par la nullité du licenciement du salarié.

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