Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Une interprétation a minima du préjudice causé par un licenciement

Peut-on concevoir qu’un salarié licencié de façon illicite, et dont le juge reconnaît le caractère abusif du licenciement, puisse n’obtenir aucune indemnité à ce titre, faute de justifier de l’existence d’un préjudice ?

Un tel raisonnement revient à nier au licenciement en lui-même tout caractère préjudiciable et ouvre la boite de Pandore.

C’est pourtant la solution qu’avait rendue la Cour d’appel de Chambéry dans le cadre d’un litige opposant un salarié à son employeur.

Cette décision, parfaitement critiquable, s’appuie sur les dispositions de l’article L 1235-5 du Code du travail, dans sa version antérieure aux ordonnances du 31 août 2017, applicables au licenciement d’un salarié ayant moins de 2 ans d’ancienneté et à celui opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.

L’article L 1235-5 du Code du travail prévoit en effet qu’en cas de licenciement abusif, le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi.

Ce texte subordonne donc l’octroi d’une indemnité à l’existence d’un préjudice.

L’appréciation de ce préjudice est habituellement faite par le Juge en considération de critères que sont : l’ancienneté du salarié, son âge, sa situation personnelle, ainsi que la durée de sa période de chômage.

Mais on sait que depuis un revirement de jurisprudence du 13 avril 2016, la Cour de cassation abandonne au juge du fond le soin d’apprécier souverainement l’existence et l’évaluation du préjudice, ce qui peut conduire à une interprétation très stricte (Cass. Soc. 13 avril 2016 n° 14-28293).

L’injustice faite au salarié

avocat droit du travail et des salariés

Ainsi, jusqu’à lors la Cour régulatrice considérait que la remise tardive par l’employeur au salarié d’une attestation destinée à Pôle Emploi lui permettant de s’enregistrer auprès de cet organisme, lui causait nécessairement un préjudice, et partant, ouvrait droit à indemnisation.

Dorénavant, l’indemnisation du salarié perd son caractère d’automaticité et est subordonnée à sa démonstration, pièces à l’appui, de l’existence d’un préjudice.

Dans la continuité de ce courant jurisprudentiel, il a en outre été jugé qu’un salarié licencié, qui sollicitait des dommages intérêts pour inobservation de la procédure de licenciement, mais qui n’apportait aucun élément pour justifier de son préjudice, pouvait de ce fait être privé de toute indemnisation (Cass. Soc. 30 juin 2016 n° 15-16066).

L’article L 1235-2 du Code du travail, sur lequel se fonde cette décision, dispose qu’en cas d’inobservation de la procédure par l’employeur, il est accordé au salarié une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Cette solution regrettable vient d’être confirmée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui énonce que « l’existence d’un préjudice résultant du non-respect de la procédure de licenciement et l’évaluation qui en est faite relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond »

Dans cette affaire, le juge, approuvé par la Haute juridiction, avait retenu que le salarié, dont la procédure de licenciement n’avait pas été observée, ne bénéficierait d’aucune indemnité, faute de rapporter l’existence de son préjudice.

L’inobservation de la procédure de licenciement n’ouvre donc pas systématiquement droit au bénéfice d’une indemnisation.

La perte injustifiée de son emploi cause un préjudice au salarié que le Juge doit apprécier

Cela étant, cette décision comporte un deuxième enseignement, plus fondamental celui-ci.

Peut-être soucieuse de mettre fin à des dérives que d’autres juges du fond avaient pu commettre, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry que nous évoquions en préambule, et affirme de façon solennelle « qu’il résulte de l’article L 1235-5 du code du travail que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue » (Cass. Soc. 13 sept. 2017 n° 16-13578).

En d’autres termes, la perte injustifiée de son emploi par le salarié est nécessairement source de préjudice et le juge, qui l’évalue souverainement, doit accorder au salarié une indemnité et ne peut rejeter cette demande en arguant d’une absence de préjudice.

Précisons cependant que cette discussion perdra de son intérêt à l’avenir, le droit du travail traversant actuellement une période de mutation.

L’ordonnance du 31 août 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, fixe en effet un barème d’indemnisation comportant un montant minimal et un montant maximal, selon l’ancienneté du salarié licencié, qui s’imposera au Juge.

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