Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Les limites à la détestable tentation de l’employeur de surveiller les salariés en toutes circonstances

Le détournement par l’employeur des moyens technologiques dont il dispose dans l’entreprise pour surveiller les salariés est un travers que l’on observe régulièrement.

Qu’il est tentant en effet d’espionner à son insu un salarié, qui est déjà dans le collimateur, dans l’espoir de le voir commettre un impair et d’obtenir ainsi un motif de licenciement.

Vidéosurveillance, géolocalisation, logiciels espions… sont autant de moyens qui peuvent être utilisés par l’employeur pour pratiquer une surveillance étroite des salariés.

La jurisprudence a néanmoins posé des limites à une telle utilisation ; elle considère en effet que

si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas fait l’objet, préalablement à son introduction, d’une information personnelle du salarié et lorsqu’il en existe, du CSE.

Ainsi, si l’employeur peut contrôler l’activité des salariés pendant leur temps de travail, son contrôle ne s’étend pas au-delà de cette période, et sûrement pas à leur vie personnelle.

Une information préalable du salarié

En tout état de cause, la loi pose des garde-fous et impose à l’employeur une information préalable de chaque salarié, ainsi que du CSE, sur les moyens de contrôle qu’il met en œuvre.

L’article L 1222-4 du Code du travail dispose à cet égard qu’aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance.

L’article L 2312-38 du Code du travail précise en outre que le CSE est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés.

Ces exigences sont prescrites à peine d’irrecevabilité du dispositif invoqué par l’employeur comme mode de preuve, dans le cadre d’un litige prud’homal (Cass. Soc. 7 juin 2006 n° 04-43866).

Toutefois, la jurisprudence a admis une exception, en considérant qu’un service interne de l’entreprise, chargé de contrôler l’activité, des salariés ne nécessitait pas leur information préalable (Cass. Soc. 5 nov. 2014, n° 13-18427).

L’employeur peut-il utiliser la géolocalisation pour contrôler un salarié en dehors de son temps de travail ?

La géolocalisation est en principe utilisée pour permettre à l’employeur de suivre le trajet d’un salarié et de savoir où il se trouve, dans un souci de rationalisation.

Certains employeurs ont également imaginé recourir à ce dispositif pour contrôler la durée de travail des salariés.

La jurisprudence s’est cependant montrée hostile à ce procédé.

La Chambre sociale de la Cour de la Cour de cassation énonce en effet que

l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace que la géolocalisation (Cass. Soc. 19 déc. 2018 n° 17-14631).

La géolocalisation est donc un outil de contrôle de la durée du travail qui présente un caractère subsidiaire, lorsque ce contrôle ne peut être pratiqué par aucun autre moyen.

De sorte que si l’employeur peut recourir à un autre dispositif, même moins efficace que la géolocalisation, il doit le privilégier.

C’est ce que souligne une récente décision.

L’utilisation dévoyée de la géolocalisation pour localiser un salarié en dehors de son temps de travail

Un salarié, conducteur de bus scolaire, se voit notifier un avertissement le 5 décembre 2016, l’employeur lui reprochant une utilisation abusive de son véhicule professionnel à des fins personnelles.

Quelques mois plus tard, le 10 mai 2017, il est licencié pour faute grave, l’employeur lui faisant grief d’avoir continué d’utiliser le véhicule de l’entreprise à des fins personnelles.Le salarié doit être préalablement informé des moyens de contrôles mis en œuvre par l'emloyeur

Le salarié conteste son licenciement et obtient gain de cause devant la Cour d’appel.

Celle-ci relève en premier lieu que l’employeur n’avait pas informé individuellement le salarié du dispositif de géolocalisation qu’il avait mis en œuvre, en méconnaissance des dispositions de l’article L 1222-4 du Code du travail.

Elle retient en outre que la géolocalisation n’était pas indispensable pour suivre le temps de travail du salarié.

Un décret de 2003 (abrogé depuis) prévoyait, pour les entreprises de transport routier de personnes, l’enregistrement quotidien par l’intéressé de la durée de son temps de travail au moyen d’un livret individuel de contrôle.

L’employeur disposait donc d’un autre moyen de contrôle.

Enfin, la géolocalisation avait permis à l’employeur d’exercer un contrôle permanent du salarié, y compris en dehors de son temps de travail et portait ainsi atteinte à sa vie personnelle.

Une pratique de l’employeur censurée

La Chambre sociale de la cour de cassation réprouve le procédé de l’employeur.

Elle considère que les données collectées à partir du système de géolocalisation portaient une atteinte aux droits du salarié à une vie personnelle et familiale, et étaient dès lors irrecevables.

Elle rappelle que le Code du travail prévoit que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (article L 1121-1).

L’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, n’est pas justifiée pour localiser le conducteur en dehors du temps de travail (Cass. Soc. 22 mars 2023 n° 21-22852).

La géolocalisation du salarié en dehors de son temps de travail est donc illicite.

On signalera également un arrêt récent censurant un employeur ayant utilisé un système de géolocalisation pour contrôler la durée du travail de ses salariés, distributeurs à temps partiel (Cass. soc. 20 mars 2024 n° 22-13-129).

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