Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Une surveillance encadrée

La vidéosurveillance mise en place par l’employeur dans l’entreprise répond la plupart du temps à des exigences de sécurité, mais le risque que cette finalité soit détournée afin de satisfaire des objectifs moins avouables n’est pas tout à fait à exclure.

La tentation du « Big brother » décrit par George Orwell dans son livre « 1984 » trouverait-elle une réalité dans l’entreprise ? c’est la question qu’on est en droit de se poser alors que plusieurs affaires illustrent les agissements d’employeurs imaginant pouvoir surveiller les salariés à leur insu en se gardant de les informer de l’existence de caméras de surveillance, ou en détournant l’utilisation déclarée de ces caméras pour scruter leurs moindres mouvements.

La liberté individuelle des salariés se trouve ainsi confrontée aux impératifs de sécurité invoqués, à tort ou à raison, par l’employeur.

S’il n’est pas contesté que l’employeur a le droit, et même le pouvoir, reconnu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, (Cass. Soc. 14 mars 2000 n° 98-42090, Cass. Soc. 4 juill. 2012 n° 11-30266), il n’en doit pas moins respecter certaines exigences posées par la loi.

Le droit au respect de la vie privée du salarié s’oppose notamment à l’installation de caméras de surveillance dans des lieux de l’entreprise qui relèvent de la sphère privée (toilettes, salle de pause, vestiaire…).

Le Code du travail prévoit en outre que les salariés doivent être préalablement informés de l’installation de caméras de surveillance dans l’entreprise (article L 1222-4 du Code du travail), de même que le Comité Social et Économique, lorsque l’entreprise en est dotée, est informé et consulté préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés (article L 2312-38 du Code du travail).

Position de la CNIL et de la jurisprudencesurveillance des salariés

La jurisprudence a posé des limites lorsque l’employeur méconnaissait ces règles en utilisant des images de vidéosurveillance pour sanctionner un salarié sans l’avoir informé de l’installation de caméras.

Les nouvelles technologies lui offrent d’ailleurs un vaste choix d’utilisation de caméras miniatures qu’il peut habilement dissimuler, épiant ainsi l’activité des salariés.

Reste que tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à l’insu des salariés, constitue un mode de preuve illicite (Cass. soc. 20 nov. 1991 n° 88-43120).

La CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) exerce sa vigilance et peut être saisie par les salariés, ou leurs représentants, lorsqu’ils considèrent que l’utilisation faite par l’employeur des caméras de surveillance dans l’entreprise n’est pas conforme aux exigences légales.

Cela étant, l’employeur échappe à ces obligations quand il s’agit de la surveillance des locaux de l’entreprise ou d’entrepôts dans lesquels les salariés ne travaillent pas, la mise en place d’un dispositif de vidéosurveillance n’étant pas soumise à l’information préalable des salariés.

C’est ainsi que lorsque ce système de vidéosurveillance installé dans un entrepôt de marchandise qui n’enregistrait pas l’activité de salariés affectés à un poste de travail déterminé, avait permis d’établir avec certitude la participation répétée d’un salarié à des faits de vol, il peut justifier son licenciement pour faute grave (Cass. Soc. 31 janv. 2001 n° 98-44290).

Il est également admis que la vidéosurveillance mise en place par un client pour surveiller ses propres locaux échappe à l’obligation d’information préalable des salariés, l’employeur n’étant pas tenu de la leur divulguer (Cass. Soc. 19 avril 2005 n° 02-46925).

Une récente affaire illustre ces règles dans toute leur complexité.

Mais admissibilité de la vidéosurveillance comme mode de preuve lorsqu’elle est utilisée pour des raisons de sécurité

Un salarié travaillant comme chef d’équipe des services de sécurité exerçait sa prestation de travail auprès d’une entreprise cliente.

Or, le système de vidéosurveillance du client avait capté des images montrant que ce salarié avait, lors d’une de ses vacations, fracturé un placard situé au sous-sol réservé au stationnement des motos.

L’employeur, qui en avait été informé par le client, avait aussitôt procédé au licenciement du salarié pour faute grave.

Celui-ci, contestant son licenciement, soutenait l’illicéité du mode de preuve utilisé, alors qu’il n’avait pas été informé préalablement de l’existence de caméras de surveillance sur le site du client.

Ce moyen de défense avait été validé par la Cour d’appel, qui, dans une argumentation intéressante, avait retenu que le système de vidéosurveillance du client aurait dû être porté à la connaissance de l’ensemble des personnes fréquentant le site, dont les salariés eux-mêmes, de sorte qu’en l’absence d’information préalable du salarié, ce mode de preuve était illicite, et le licenciement du salarié privé de cause réelle et sérieuse.

Cette décision est désapprouvée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui considère que le système de vidéo-surveillance n’avait pas été utilisé pour contrôler le salarié dans l’exercice de ses fonctions, ayant manifestement une finalité différente, ce qui exonérait l’employeur de l’information préalable (Cass. Soc. 11 déc. 2019 n° 17-24179).

On signalera enfin, pour être complet sur ce sujet, une décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), du 17 octobre 2019, ayant jugé qu’un employeur ayant eu des soupçons raisonnables que des irrégularités gaves (vol) avaient été commises par des employés dans l’entreprise, au vu de l’ampleur des manques constatés et en présence de justifications sérieuses, avait pu valablement mettre en place une vidéosurveillance secrète (donc sans en informer les intéressées), sans commettre de violation des articles 6 (admission comme preuve des enregistrements) et 8 (droit au respect de la vie privée) CEDH.

Ce procédé avait été retenu pour justifier le licenciement pour faute de salariées ayant pris part à des vols.

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