Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le délai de renonciation au bénéfice de la clause de non-concurrence par l’employeur est encadré

Il n’est pas si rare qu’un employeur néglige ou omette l’existence d’une clause de non-concurrence après qu’un salarié ait quitté l’entreprise.

Rappelons à cet égard qu’en cas de rupture unilatérale du contrat de travail (licenciement, démission, prise d’acte…) la date d’exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de l’indemnité de non-concurrence sont celles du départ effectif du salarié de l’entreprise.

Lorsque le contrat de travail a été rompu au moyen d’une rupture conventionnelle, l’employeur qui entend renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence doit le faire au plus tard à la date de rupture fixée par la convention, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires (Cass. Soc. 26 janv. 2022 n° 20-15755), passé ce délai il est redevable du paiement de l’indemnité.

Mais qu’il ait involontairement omis de libérer le salarié de la clause de non-concurrence, ou qu’il ait agi intentionnellement, avec la volonté de maintenir cette épée de Damoclès sans en payer la contrepartie financière les conséquences sont les mêmes : lorsque le salarié a respecté les exigences prévues par le contrat, l’employeur est redevable de l’indemnité prévue.

L’employeur défaillant adopte habituellement deux types de comportement

Le premier, « qui ne tente rien n’a rien », consiste, pour l’employeur ayant oublié le délai et qui a pris conscience de sa bévue, à envoyer hors délai une lettre au salarié le libérant de la clause de non-concurrence.

Sait-on jamais, le salarié peut se satisfaire de cette renonciation tardive et ne pas élever de contestation…

Et lorsque le salarié, informé de ses droits, lui oppose la levée hors délai de la clause de non-concurrence, l’employeur, sûr de son fait, rétorquera avec aplomb qu’il incombe au salarié de lui prouver qu’il respecte bien les termes de cette obligation.

Comme nous le verrons, cet argument ne vaut pas.Période probatoire d'un salarié et contrat de travail

Deuxième attitude observée : « pas vu pas pris » ; tant que le salarié ne se manifeste pas, l’employeur s’abstient de payer, misant sur l’ignorance de l’intéressé, ou sur un rapport de force favorable qui laissera le salarié face à ses doutes ou à sa crainte d’affronter l’employeur.

Reste que les salariés sont parfois téméraires… et qu’un salarié qui travaille désormais dans un secteur d’activité différent peut voir quelque avantage à bénéficier pendant un an (qui est la durée habituelle) d’un complément de salaire non négligeable.

Face à cet employeur taiseux, il est conseillé de lui rappeler, par lettre recommandée, qu’il n’a levé la clause de non-concurrence dans le délai qui lui était imparti, de sorte qu’il est tenu au respect de son obligation et, en conséquence, au paiement de la contrepartie financière selon le montant et la durée prévus par le contrat de travail (ou parfois par la convention collective).

Si l’employeur persiste à rester mutique, le salarié aura intérêt à prendre attache avec un avocat, ou à saisir de sa propre initiative le Conseil de prud’hommes afin d’obtenir par la voie judiciaire le paiement de l’indemnité qui lui est due.

Charge de la preuve du respect de la clause de non-concurrence

L’argument que nous avons évoqué, et que ne manquera pas de brandir un employeur de mauvaise foi, consistera, pour continuer à se soustraire à son obligation et/ou gagner du temps, à demander au salarié de justifier de son respect de la clause de non-concurrence.

Il s’agit néanmoins d’une inversion de la charge de la preuve.

S’il est évident que, pour bénéficier du paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, le salarié doit en avoir respecté les termes, il est également établi qu’il incombe à l’employeur qui se prétend libéré du versement de cette contrepartie financière de prouver que le salarié ne l’a pas respectée, ainsi que vient de le rappeler utilement la jurisprudence (Cass. Soc. 21 avril 2022 n° 20-22379, Cass. Soc. 28 janv. 2016 n° 14-25874).

Or, dès lors que la clause de non-concurrence est valable et que le salarié l’a respectée, l’employeur est irrévocablement tenu au paiement de l’indemnité de non-concurrence et aux congés payés afférents.

Le non-paiement par l’employeur exonère-t-il le salarié de son obligation de non-concurrence ?

Il peut être évidemment tentant, lorsque l’employeur s’est affranchi de son obligation, d’en faire de même.

Un tel comportement peut relever de l’exception d’inexécution, consacrée par le Code civil, qui veut que lorsqu’une partie ne respecte pas une obligation mise à sa charge, son cocontractant en est corrélativement délié.sanction disciplinaire et modification du contrat de travail

Si cette règle conserve sa pertinence, et a été reconnue par une décision de la Cour d’appel de Versailles, il est toutefois conseillé au salarié de ne pas agir avec précipitation avant de travailler pour une entreprise concurrente.

Dans une des rares décisions rendues à ce sujet par la Chambre sociale de la Cour de cassation, il a été jugé qu’un salarié ayant quitté son employeur, qui avait été embauché 8 jours plus tard par une entreprise concurrente, et affirmait que le défaut de paiement de la contrepartie financière dans ce bref délai par l’employeur, il avait, de fait, libéré de son obligation de non-concurrence, n’a pas convaincu.

Il a ainsi été condamné au paiement à l’employeur de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence (Cass. Soc. 20 nov. 2013 n° 12-20074).

On conseillera donc une certaine prudence et l’attente d’un délai raisonnable avant de s’engager chez un concurrent.

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