Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
La clause de non-concurrence, obligation contractuelle
La clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail n’est pas une clause de style et répond à l’exigence de l’employeur d’empêcher un salarié qui quitte l’entreprise d’aller exercer ses talents chez un concurrent, sa mise en œuvre est assortie du versement d’une contrepartie financière dont le montant ne doit pas être dérisoire.
Sous réserve de sa validité, elle lie incontestablement les parties qui l’ont conclue et ne doit donc pas être méconnue par le salarié, sous réserve de l’exposer à des déconvenues.
Le contrat de travail prévoit habituellement les conditions ainsi que les délais dans lesquels la clause de non-concurrence peut être levée par l’employeur, sachant que la jurisprudence considère qu’en cas de rupture du contrat de travail, la date à partir de laquelle le salarié est tenu de respecter l’obligation de non-concurrence, la date d’exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité sont celles de son départ effectif de l’entreprise, nonobstant stipulations ou dispositions contraires.
Non-respect par l’employeur de l’obligation de paiement de la contrepartie financière
L’employeur est donc incontestablement tenu au paiement de la contrepartie financière stipulée dans le contrat de travail dès lors qu’il n’en a pas libéré le salarié dans le délai évoqué.
Toutefois, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, et le salarié sera bien avisé d’attendre patiemment un délai raisonnable pour s’assurer que l’employeur est véritablement défaillant.
En effet, un salarié qui avait quitté son entreprise le 23 octobre 2009, date à laquelle il avait été dispensé d’effectuer son préavis, et imaginait ne plus être soumis à l’interdiction de concurrence une semaine plus tard car il n’avait pas reçu l’indemnité qui lui était à la fin du mois, a dû déchanter.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a en effet validé sa condamnation à payer à l’employeur une somme à titre de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence, estimant que ce délai (de 8 jours) ne suffisait pas à le libérer de son obligation, qu’il avait aussitôt méconnue en passant au service d’une entreprise concurrente (Cass. Soc. 20 nov. 2013 n° 12-20074).
Cela étant, si l’employeur ne paie pas l’indemnité de non-concurrence, le salarié peut-il considérer qu’il a corrélativement toute latitude pour s’affranchir de l’obligation de non-concurrence qui lui est faite et qu’il peut donc céder aux propositions d’emploi d’un concurrent ?
La réponse semble devoir être affirmative.
C’est ainsi ce qu’a jugé la Cour d’appel de Versailles :
« L’absence de paiement de la contrepartie financière due par l’employeur dès la rupture du contrat de travail, le 11 octobre 2013, caractérisée par le fait qu’alors que le salarié respectait toujours la clause de non-concurrence, la société n’a procédé à aucun paiement à l’échéance du mois d’octobre, a libéré le salarié de la clause de non-concurrence » (CA Versailles, 17e ch., 17 mai 2017, n° 15/01124).
Cette décision a également le mérite de souligner que l’employeur qui s’est montré défaillant en s’abstenant de payer, ne peut valablement suppléer sa carence a posteriori en payant opportunément l’indemnité de non-concurrence avec plusieurs mois de retard dans un contexte litigieux.
Le salarié peut en outre invoquer la règle de l’exception d’inexécution qui figure à l’article 1220 du code civil, et précise qu’une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle ; le texte ajoute que cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais, ce qui implique que le salarié écrive (par lettre recommandée AR) à son (ancien) employeur pour l’informer de sa position.
Non-respect par le salarié de son obligation de non-concurrence
La situation du salarié qui méconnait volontairement l’obligation de non-concurrence qui lui est faite est incontestablement plus délicate, et peut dans le pire des cas tourner au scénario catastrophe.
En pratique, soit le salarié agit délibérément en violation de l’obligation à laquelle il est lié, soit il considère que la clause de non-concurrence est illicite ou n’est pas applicable, et décide donc d’en ignorer les prévisions.
On ne saurait cependant que trop conseiller au salarié qui prend son risque en conscience d’informer son nouvel employeur de l’entorse qu’il commet et de s’assurer qu’il ne le laissera pas choir si son précédent employeur décide d’agir en justice contre lui, voire qu’il le couvrira des éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.
Car la réaction de l’ancien employeur après qu’il ait découvert que le salarié travaille pour une entreprise concurrente peut être virulente, le monde des affaires est cruel, et dirigée à la fois contre son ancien salarié et contre ce nouvel employeur, qui est un concurrent.
Après les lettres de mise en demeure d’usage, il est prévisible que l’employeur abusé agira en effet devant deux juridictions afin d’obtenir réparation du préjudice qu’il prétend subir.
D’une part, il fera citer le salarié devant le Conseil de Prud’hommes afin de voir juger qu’il a enfreint l’obligation de non-concurrence à laquelle il était assujetti et poursuivre sa condamnation au paiement d’une indemnité en fonction du préjudice subi par l’entreprise.
D’autre part, il engagera peut-être également deux autres actions distinctes contre l’entreprise concurrente devant le Tribunal de commerce.
L’une pour qu’il soit ordonné au nouvel employeur de cesser toute relation de travail avec son ancien salarié.
L’autre, contentieux d’un litige commercial « classique » en concurrence déloyale.
Sans rentrer dans le détail de ces actions, qui relèvent des juridictions consulaires, on signalera tout de même que le juge commercial, saisi en référé pour se prononcer sur la cessation de la relation de travail du salarié avec son nouvel employeur (entreprise concurrente), n’a pas à surseoir à statuer sur la validité de la clause de non-concurrence, qui serait pendante devant le Conseil de Prud’hommes (Cass. Com. 9 juin 2021 n° 19-14485).
En d’autres termes, le salarié contrevenant risque, si la clause de non-concurrence était valable et que ce constat procède de l’évidence (compétence du Juge des référés), à la fois de perdre son nouvel emploi et de devoir payer des dommages intérêts à son ancien employeur.
Pas sûr que l’enjeu en vaille la chandelle !
Et que se passe-t-il si le salarié n’a pas respecté son obligation de non-concurrence seulement pour une courte durée ?
Le salarié travaille bien pour une entreprise concurrente, mais seulement pour une durée de quelques mois, qui ne couvre pas la durée intégrale de la clause de non-concurrence.
L’intéressé peut en effet se raviser après coup, l’employeur mettre un terme à sa période d’essai…etc.. la vie des entreprise est pleine de péripéties.
Ainsi, un salarié avait travaillé 6 mois pour une entreprise concurrente immédiatement après avoir quitté l’entreprise pour laquelle la clause litigieuse s’appliquait et demandait à cet employeur de lui payer le reliquat.
La durée contractuelle de la clause de non-concurrence était de 18 mois et le salarié en avait bien observé les termes pendant les 12 derniers mois.
Il réclamait donc le paiement de ce reliquat à son ancien employeur.
Las, la justice ne se montre pas très compréhensive à l’égard du salarié…
Elle considère en effet que « la violation par le salarié de la clause de non-concurrence à laquelle il était soumis ne lui permettait plus de prétendre au bénéfice de l’indemnité convenue, contrepartie d’une obligation à laquelle il s’était soustrait, quand bien même la violation aurait cessé » (Cass. soc. 31 mars 1993 n° 88-43820).
En d’autres termes, lorsque le salarié a fauté, même pour courte durée, il ne peut prétendre à rien!
Cette solution a été récemment réaffirmée avec la même vigueur (Cass. soc. 24 janv. 2024 n° 22-20926).