Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Les conditions de validité d’un cumul d’emplois

Le cumul d’emploi est parfaitement licite, mais il est encadré par des conditions précises.

S’appliquant majoritairement aux salariés à temps partiel désirant s’assurer un complément de revenus en occupant un autre emploi de même nature, le cumul d’emploi recouvre néanmoins une diversité de situations.

La nécessité économique en constitue évidemment la première des motivations, mais il peut également s’agir de compléter une activité économique par une activité artistique, d’amorcer une nouvelle activité professionnelle, etc…

La Chambre sociale de la Cour de cassation vient d’en fixer les contours en énonçant :

Qu’un salarié peut cumuler plusieurs emplois à condition de faire preuve de loyauté envers ses employeurs en n’exerçant pas d’activités concurrentes et sauf clause contraire de son contrat de travail, cette liberté cédant toutefois devant l’obligation de respecter les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail (Cass. Soc. 19 avril 2023 n° 21-24238).

Reprenons les conditions énumérées.

L’obligation de respecter les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles selon un principe désormais solidement ancré par la Cour de cassation.

Il s’en déduit qu’un salarié, y compris lorsqu’il cumule plusieurs emplois, ne peut travailler au-delà des durées maximales quotidiennes et hebdomadaires fixées par le Code du travail, ces dispositions d’ordre public ne souffrent aucune dérogation.le cumul d'emploi salarié ne doit pas excéder les durées légales maximales

Cet ordre public de protection, parfois mal compris des intéressés, est inspiré d’une exigence de préservation de leur santé et leur sécurité, fût-ce à leur insu, et s’applique à tous les salariés.

Ainsi, la durée quotidienne du travail effectif par salarié ne peut excéder 10 heures, sauf dérogations particulières (article L 3121-18 du Code du travail).

Au cours d’une même semaine, la durée du travail est d’une durée maximale de 48 heures (article L 3121-20 du Code du travail).

Mais la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période de douze semaines consécutives ne peut dépasser 44 heures (article L 3121-22 du Code du travail).

Tout salarié bénéficie d’un repos quotidien d’une durée minimale de 11 heures consécutives (L’article L 3131-1 du Code du travail).

En tout état de cause, aucun salarié ne peut accomplir des travaux rémunérés au-delà de la durée maximale du travail (article L 8261-1 du Code du travail).

Mais le dépassement de la durée maximale d’emploi ne constitue pas en soi un motif de licenciement

Dans sa dernière décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme que « la seule circonstance que, du fait d’un cumul d’emplois, un salarié dépasse la durée maximale d’emploi ne constitue pas en soi une cause de licenciement, seul le refus du salarié de régulariser sa situation ou de transmettre à son employeur les documents lui permettant de vérifier que la durée totale de travail n’excède pas les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires constitue une faute ».

Dans cette affaire, un employeur avait appris en 2018 qu’un salarié de son entreprise avait travaillé pour un autre employeur en 2017 sans l’en avoir informé préalablement.

Il l’avait licencié en lui reprochant de ne pas avoir respecté les durées maximales de travail et d’avoir violé l’obligation de sécurité, et invoquait les risques qu’il faisait courir aux autres salariés de l’entreprise… sans s’appesantir sur la circonstance que cette situation de cumul irrégulier n’existait plus au jour du licenciement.

Le licenciement est jugé injustifié, dès lors que le salarié avait transmis les éléments permettant à son employeur de vérifier le respect des durées maximales de travail et que le cumul irrégulier avait disparu au jour du licenciement.

L’exigence de loyauté envers l’employeur

Le salarié cumulant plusieurs activités reste tenu à l’égard de son (et de ses) employeur(s) à une obligation de loyauté.

Celle-ci est inhérente à tout contrat de travail.

Il convient en outre de lire attentivement les stipulations du contrat de travail et de vérifier s’il comporte une clause d’exclusivité.

S’il prévoit que le salarié exercera son activité exclusivement au service de son employeur, une telle obligation est incompatible avec l’exercice d’un second emploi, à plus forte raison s’il est exécuté au service d’une entreprise ou d’une activité concurrente.

C’est ainsi que le licenciement pour faute grave d’une salariée ayant ignoré cette exigence a été jugé licite.

Son contrat de travail prévoyait une clause d’exclusivité.

Or, l’employeur avait découvert qu’elle avait poursuivi les relations contractuelles initiées dans le cadre de son ancienne société (en liquidation judiciaire), qui développait une activité concurrente.

La Chambre sociale de la Cour de cassation juge que le fait que la salariée ait poursuivi une activité au profit de son ancienne société, au mépris de la clause d’exclusivité stipulée au contrat, constituait une faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise (Cass. Soc. 23 oct. 2013 n° 12-15893).

L’obligation de loyauté parait également devoir imposer au salarié qui exerce un autre emploi d’en informer son employeur… ce qui lui évitera les désagréments liés à une découverte fortuite.

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