Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris
La crise sanitaire actuelle trouve un prolongement dans l’activité économique de nombreuses entreprises, en particulier celles dont le secteur d’activité est touché de plein fouet (tourisme, hôtellerie, restauration, sport, culture, du transport aérien, évènementiel…), qui sont susceptibles de rencontrer de graves difficultés.
A l’égard des salariés, les entreprises concernées bénéficient des mesures prises par les pouvoirs publics afin de les aider à surmonter cette période délicate, dont le dispositif d’activité partielle constitue la charnière, de sorte que les mesures ayant une incidence sur l’emploi, notamment les licenciements économiques, soient autant que possible limités.
Mais comme toujours en période de crise, celle-ci agit comme un révélateur, et le comportement de certains employeurs n’est pas toujours exempt d’arrières pensées.
Parmi les entreprises qui licencient pour motif économique ou envisagent de le faire, trois types de comportement ont été observés : les employeurs dont l’entreprise est réellement confrontée à des difficultés économiques et dont la survie nécessite des suppressions de poste, les entreprises dont la santé économique était déjà affectée avant la crise sanitaire et pour lesquelles celle-ci a joué un rôle d’accélérateur rendant utiles des mesures de licenciement, enfin les aigrefins qui profitent opportunément de la crise sanitaire alors qu’elle a peu d’impact sur l’activité économique de leur entreprise, pour procéder à des licenciements et supprimer des postes, considérant les salariés comme des variables d’ajustement.
On ne saurait donc que trop recommander aux salariés dont le licenciement économique est envisagé de faire preuve de vigilance et de s’assurer que la cause économique invoquée par l’employeur est bien justifiée.
Rappelons que l’employeur est également tenu à plusieurs obligations avant de procéder à un licenciement pour motif économique.
La première d’entre elles est une obligation de reclassement, qui lui impose de se livrer à une recherche effective et sérieuse de reclassement dans l’entreprise, et lorsqu’elle appartient à un groupe dans toutes les entreprises du groupe situées en France, sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’occupe le salarié ou sur un emploi équivalent, ou à défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, sur un emploi d’une catégorie inférieure (Cass. Soc. 16 nov. 2016 n° 15-19927).
Par ailleurs, l’employeur doit mettre en œuvre des critères d’ordre de licenciement.
Il importe de souligner que l’application des critères d’ordre a vocation à introduire un élément d’objectivité dans le choix que l’employeur opère lorsque les salariés sont concernés par des suppressions de poste.
Ils s’appliquent aux licenciements individuels et aux licenciements collectifs, y compris lorsqu’un PSE a été instauré.
Trop souvent, les licenciements économiques fournissent l’occasion à l’employeur de se débarrasser de manière illicite de salariés trop âgés, trop anciens, trop chers, moins performants…
Or, la loi, ou l’accord collectif, définit l’application des critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements.
Ceux-ci, modifiés par les ordonnances Macron, sont les suivants (article L 1233-5 du Code du travail) :
1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères énumérés.
Les critères d’ordre doivent être mis en œuvre au niveau de l’entreprise, à l’égard de l’ensemble du personnel appartenant à la même catégorie professionnelle.
Mais il n’est pas rare que l’employeur prétende que le salarié relève d’une catégorie qui n’est pas la sienne afin de l’inclure dans la liste de ceux dont le poste est supprimé.
On considère qu’une catégorie professionnelle regroupe des salariés exerçant dans l’entreprise des fonctions de même nature supposant une formation commune.
Le procédé de l’employeur n’est évidemment pas neutre et dans une affaire de cette nature la Chambre sociale de la Cour de cassation avait jugé que :
Le salarié, dont le poste était supprimé, avait été placé dans une catégorie professionnelle artificielle qui ne concernait pas des salariés exerçant dans l’entreprise des fonctions de même nature supposant une formation commune, en sorte que derrière une apparence de légalité des procédures, l’employeur a contourné son obligation de reclassement, le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 23 sept. 2014 n° 13-12542).
En outre, parmi les critères d’ordre, celui tiré des qualités professionnelles du salarié est sans aucun doute celui qui peut laisser le plus de pouvoir discrétionnaire à l’employeur.
La jurisprudence considère toutefois que ce critère doit reposer sur des éléments objectifs.
En cas de litige, l’employeur produit habituellement un tableau de notation dans lequel il attribue des notes aux qualités professionnelles des salariés concernés par la suppression de poste.
Les Juges ont alors à charge de vérifier que l’employeur a respecté cette exigence d’objectivité.
Ayant constaté que l’employeur communiquait uniquement un tableau de notation des quatre critères retenus en fonction de la catégorie professionnelle sans produire aucun élément objectif, précis et vérifiable ni aucun élément de comparaison avec les autres salariés, la cour d’appel a exactement retenu qu’elle ne disposait d’aucun élément de comparaison objectif permettant de vérifier si les critères d’ordre avaient été correctement appliqués (Cass. Soc. 12 oct. 2016 n° 15-19719).
Pour en terminer, il importe de relever que l’inobservation des critères d’ordre ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérait, historiquement, qu’elle constituait pour le salarié une illégalité qui entraîne pour celui-ci un préjudice pouvant aller jusqu’à la perte injustifiée de son emploi et qui doit être intégralement réparé selon son étendue (Cass. Soc. 30 sept. 1999 n° 97-40695).
En ce début d’année, elle a modifié sa jurisprudence, et ici comme ailleurs, faisant peser sur le salarié l’obligation de justifier du préjudice qu’il subit, « l’existence d’un préjudice résultant de l’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond » (Cass. Soc. 26 fév. 2020 n° 17-18137).