Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Des critères d’ordre de licenciement, pour quoi faire ?

Le licenciement pour motif économique, individuel ou collectif, qui s’accompagne de suppressions de poste, impose à l’employeur d’établir des critères pour fixer un ordre des licenciements parmi les salariés susceptibles d’être concernés.

L’énonciation de critères d’ordre permet en principe de soustraire les salariés au pouvoir discrétionnaire de l’employeur en faisant en sorte que son choix soit guidé par des considérations objectives.

Hélas, dans un mouvement primaire assez habituel, lorsque l’employeur est amené à supprimer des postes dans l’entreprise et qu’il doit choisir entre plusieurs salariés, le constat maintes fois dressé révèle que son attention se portera en premier lieu sur les salariés les mieux payés, les plus âgés, puis vers ceux dont il est le moins satisfait…. qu’il voudra prioritairement licencier.

Et si la loi a le mauvais goût de contrarier ce réflexe intuitif en ramenant l’employeur vers une forme de raison, il est à craindre qu’il n’y soit guère accessible, son premier mouvement ayant imprimé une marque indélébile.

Les critères d’ordre s’apprécient par catégorie professionnelle

Le code du travail institue donc des critères d’ordre, qui s’apprécient par catégorie professionnelle, étant précisé que le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements peut aussi être fixé par un accord collectif.

La Chambre sociale de la Cour de cassation considère que les catégories professionnelles « regroupent, en tenant compte des acquis de l’expérience professionnelle qui excèdent l’obligation d’adaptation qui incombe à l’employeur, l’ensemble des salariés qui exercent, au sein de l’entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune » (Cass. Soc. 20 avril 2022 n° 20-20567).

Il peut arriver qu’un salarié soit seul à relever d’une catégorie professionnelle.

Au sein de chaque catégorie professionnelle, la loi énumère les critères d’ordre suivants, mais un accord collectif peut en prévoir d’autres qui prévaudront (article L 1233-5 du code du travail) :

1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;Les critères d'ordre s'apprécient par catégorie professionnelle

2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;

3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;

4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.

L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus.

Le salarié dispose d’un délai de de dix jours à compter de la date à laquelle il quitte effectivement son emploi pour demander à l’employeur de lui communiquer les critères qu’il a retenus, lequel a dix jours suivant la présentation ou de la remise de la lettre du salarié pour lui répondre (article R 1233-1 du Code du travail).

Illustrations de décisions récentes condamnant un employeur qui n’avait pas respecté l’application des critères d’ordre

Certains employeurs ont parfois des difficultés à respecter l’application de ces critères.

I– Ainsi, dans une récente affaire, un employeur avait licencié un salarié exerçant des fonctions de contrôleur de gestion, après avoir fait prévaloir les qualités professionnelles et considéré que les siennes étaient inférieures à celles de ses collègues.

Pour ce faire, il avait fait prévaloir le taux d’atteinte des objectifs annuels qui lui avaient été assignés.

Petit problème… l’accord collectif fixant les critères d’ordre ne comportait pas une telle condition pour l’évaluation des qualités professionnelles des salariés relevant de la catégorie des contrôleurs de gestion.

De sorte que l’employeur, qui avait méconnu cette exigence et choisi de manière arbitraire un salarié qu’il estimait moins compétent professionnellement que ses collègues, est condamné pour n’avoir pas respecté les critères d’ordre (Cass. Soc. 24 nov. 2021 n° 19-21712).critères d'ordre de licenciement

II– Plus récemment, c’est à propos d’un salarié dont la situation présentait des caractéristiques sociales rendant sa réinsertion professionnelle particulièrement difficile que la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée.

Ce salarié, qui occupait un emploi d’agent de service à temps partiel, selon un contrat d’insertion revenu minimum d’activité, avait fait l’objet d’un licenciement individuel pour motif économique.

L’intéressé avait contesté son licenciement et faisait en outre valoir que l’employeur n’avait pas respecté les critères d’ordre de licenciement.

La Haute Juridiction lui donne raison.

Elle rappelle que lorsque l’employeur procède à un licenciement individuel pour motif économique, il prend notamment en compte, dans le choix du salarié concerné, le critère tenant à la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés.

Or, le salarié licencié avait été engagé dans le cadre d’un contrat d’insertion revenu minimum d’activité, dispositif ayant pour objet de faciliter l’insertion sociale et professionnelle des personnes rencontrant des difficultés particulières d’accès à l’emploi, situation qui constitue l’un des critères mentionnés à l’article L. 1233-5 du code du travail (Cass. Soc. 12 juill. 2022 n° 20-23651).

L’employeur n’avait donc pas respecté les critères d’ordre de licenciement.

Rappelons que la méconnaissance des critères d’ordre n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse, mais permet au salarié d’obtenir des dommages intérêts en réparation du préjudice que lui a causé la perte injustifiée de son emploi.

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