Par Franc Muller, Avocat licenciement, Paris

 

L’énonciation des critères d’ordre

Lorsque, dans le cadre d’un licenciement pour motif économique, un employeur est amené à envisager la suppression d’un ou plusieurs postes dans l’entreprise, et que plusieurs salariés occupent le ou les postes concernés, cela nécessite qu’il procède à un choix entre les intéressés.

Ainsi par exemple, si, dans une entreprise qui compte quinze postes de commerciaux répartis dans toute la France, l’employeur envisage de supprimer pour des raisons économiques trois de ces postes, de quelle manière devra-t-il arbitrer ?

Pour tenter de pallier cette difficulté, le Code du travail prévoit l’application de critères d’ordre.

Ceux-ci peuvent également résulter d’un accord collectif.

Les critères légaux, qui s’appliquent aussi bien en matière de licenciement individuel que collectif, sont les suivants (article L 1233-5 du Code du travail) :

1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés,

2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise,

3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés,

4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.

L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus au présent article.

Étant précisé que l’application du critère tenant aux qualités professionnelles doit être justifiée par des éléments objectifs (Cass. soc 24 sept. 2014 n° 12-16991).

Ces critères s’appliquent à l’ensemble des salariés appartenant à une même catégorie professionnelle.

La jurisprudence considère, qu’appartiennent à une même catégorie professionnelle, les salariés qui exercent dans l’entreprise des activités de même nature supposant une formation professionnelle commune (Cass. soc 18 mai 2011 n° 10-13618, Cass. soc 13 février 1997 n° 95-16648).

Ainsi, dans une affaire emblématique, la société des Grands Magasins de la Samaritaine avait engagé une procédure de licenciement collectif pour motif économique portant sur 121 emplois, et avait indiqué aux représentants du personnel (dont la consultation est obligatoire), qu’étaient concernés 88 postes d’employés et 33 postes de cadres, qui se répartissaient entre 47  » équipes de vente  » et 74  » autres « , sans autre précision.

C’est à cette occasion que la Cour de cassation avait jugé qu’il convenait de prendre en considération les catégories professionnelles concernées, déterminées entre les salariés exerçant dans l’entreprise des activités de même nature supposant une formation professionnelle commune.

Prise dans cette acception, une catégorie professionnelle peut être large, ce d’autant plus que les Hauts magistrats considèrent que les critères déterminant l’ordre des licenciements doivent être mis en œuvre à l’égard de l’ensemble du personnel de l’entreprise (Cass. soc. 15 mai 2013 n° 11-27458), et non d’une entité plus restreinte, comme un établissement, un atelier, un magasin…

Certains employeurs imaginent pouvoir réduire le périmètre d’une catégorie professionnelle à une portion congrue, ce qui a pour corollaire de limiter également le nombre de salariés concernés, et de procéder ainsi à une sélection restreinte entre les intéressés.

La Cour de cassation vient de préciser qu’un tel procédé n’était pas admissible.

Un employeur soutenait ainsi que « ne peuvent être regroupés au sein d’une même catégorie professionnelle des salariés qui exercent des fonctions requérant des qualifications particulières et d’autres salariés qui ne disposent pas de ces qualifications particulières, peu important que ces derniers puissent acquérir les qualifications nécessaires pour occuper l’emploi des premiers dans le cadre d’une formation complémentaire relevant de l’obligation d’adaptation de l’employeur. »

Les Hauts magistrats n’ont pas suivi cette argumentation.

Ils jugent au contraire que lorsque des salariés exercent des fonctions similaires, sur des machines de générations différentes, sans que l’employeur ne démontre que le pilotage de l’une ou l’autre de ces machines ait nécessité une formation de base spécifique ou une formation complémentaire excédant l’obligation d’adaptation, l’employeur n’est pas fondé à scinder ces fonctions en deux catégories professionnelles, en mettant en œuvre les critères d’ordre des licenciements dans chacune d’elles (Cass. soc. 27 mai 2015 n° 14-11688).

Cette subdivision n’a donc pas lieu d’être.

Cela étant, il n’est pas à exclure que des modifications législatives se profilent à l’horizon.

En effet le projet de loi Macron contenait, dans sa version adoptée en première lecture, une disposition prévoyant que, pour les entreprises soumises à l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements peut être fixé à un niveau inférieur à celui de l’entreprise (article 98), de sorte que la restriction du champs d’application pourrait avoir pour effet la mise en œuvre des critères d’ordre au niveau d’un établissement, et non plus de l’entreprise.

Ce texte n’est pas voté à l’heure qu’il est !

Sur le plan judiciaire, il importe de souligner que les indemnités pour licenciement sans cause économique réelle et sérieuse ne se cumulent pas avec les dommages intérêts pour inobservation des critères d’ordre.

En revanche, le salarié peut prétendre à une indemnité fixée à ce titre pour réparer l’intégralité du préjudice subi par suite de la perte injustifiée de son emploi (Cass. soc 14 nov. 2013 n° 12-23089).

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