Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Comment reconnaitre un cadre dirigeant ?
Pour les profanes, le cadre dirigeant se reconnaît aisément aux cernes qu’il a sous les yeux en raison d’une charge de travail écrasante et du peu de congés qu’il prend, il a parfois également une démarche hésitante, souffrant de maux de dos car ployant sous de lourdes responsabilités.
En contrepartie de sa durée de travail accablante et de l’autonomie de décision qui lui est accordée, il bénéficie d’une des rémunérations les plus élevées de l’entreprise.
Telle est à gros trait la représentation fantasmée du cadre dirigeant, à laquelle on trouvera peut-être une résonance avec la définition qu’en donne l’article L 3111-2 du Code du travail.
Ajoutons en outre que la jurisprudence exige du cadre dirigeant qu’il participe de façon effective à la direction de l’entreprise, et le tableau sera presque complet.
Mais il arrive qu’exténué par sa surcharge de travail et en conflit avec les responsables de l’entreprise, le cadre dirigeant se rebiffe.
Il prend alors conscience qu’il s’est beaucoup investi dans l’entreprise, lui sacrifiant souvent sa vie personnelle et familiale, et qu’il en a été bien mal récompensé.
Le statut valorisant de cadre dirigeant, attaché à ses fonctions, comportait en définitive plus d’inconvénients que d’avantages.
L’exclusion de la durée légale du travail
C’est souvent sur le terrain de la durée du travail que se cristallise le conflit, car ainsi que nous l’avons laissé entrevoir, le cadre dirigeant n’est pas soumis à la durée légale du travail et ne peut notamment bénéficier des dispositions relatives aux temps de repos quotidien et hebdomadaire
Il est exclu du paiement des heures supplémentaires.
L’excès de temps de travail réalisé pendant la relation contractuelle revient rapidement à l’esprit du salarié en litige avec son employeur.
Or, s’il entend obtenir le paiement d’heures supplémentaires, il devra démontrer, d’une part, que la qualité de cadre dirigeant était fictive, les critères déterminés par la loi (grande indépendance dans l’emploi du temps, prise de décision de façon autonome, rémunération parmi les plus élevées de l’entreprise) n’étant pas réunis, et disposer d’autre part d’éléments suffisamment précis quant aux horaires qu’il a effectivement réalisés pour convaincre la juridiction du travail, le cas échéant.
C’est ainsi qu’un directeur d’établissement qui,
1) ne pouvait signer des chèques que sur autorisation du conseil d’administration et dans la limite d’un montant fixé par celui-ci,
2) dont les conditions d’emploi des salariés et les salaires étaient également fixés par le conseil d’administration,
3) n’avait que le pouvoir de proposer des recrutements, les contrats de travail étant signés par le président du conseil d’administration, a fait reconnaitre qu’il n’avait pas la qualité de cadre dirigeant et a obtenu le paiement d’heures supplémentaires (Cass. Soc. 2 oct. 2019 n° 17-28940).
Les maladresses de l’employeur pourront en outre parfois simplifier la tâche du salarié.
L’application dans le contrat de travail d’une convention de forfait en jours sur l’année est incompatible avec la qualité de cadre dirigeant
La Chambre sociale de la Cour de cassation l’avait énoncé dans une première affaire.
Le contrat de travail d’un responsable de centre de profits, dont l’employeur soutenait qu’il avait la qualité de cadre dirigeant, stipulait que « son emploi », relevant de la catégorie cadre, était régi par un accord d’annualisation du temps de travail sur la base de 218 jours.
Les magistrats en avaient donc déduit que l’employeur ne pouvait utilement affirmer que le salarié était exclu de la législation sur la durée du travail et qu’il ne pouvait en conséquence se voir appliquer le statut de cadre dirigeant.
L’intéressé avait au surplus fait valoir avec succès que la convention de forfait était nulle, lui ouvrant droit du paiement d’heures supplémentaires, de repos compensateurs et des congés payés afférents (Cass. Soc. 7 sept. 2017, n° 15-24725).
Cette solution a été réitérée au Directeur Général d’une entreprise dont le contrat de travail prévoyait également un forfait annuel de 218 jours.
Les arguties de l’employeur, alléguant que le contrat de travail de l’intéressé prévoyait son autonomie dans la gestion de son emploi du temps et de son organisation, que le salarié participait à l’élaboration de la politique générale de l’entreprise et la mettait en œuvre, et qu’il percevait la rémunération la plus élevée au sein de l’entreprise, étaient parvenues à emporter la conviction la Cour d’appel.
Celle-ci est sèchement censurée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui lui rappelle que le salarié était soumis au régime du forfait en jours, ce dont il résultait que l’employeur n’était pas fondé à soutenir que l’intéressé relevait de la catégorie des cadres dirigeants (Cass. Soc. 8 juill. 2020 n° 18-21793).
L’insertion d’une convention de forfait en jours sur l’année dans le contrat de travail d’un salarié est donc antinomique avec la qualité de cadre dirigeant.
De même pour une convention de forfait en heures…
La conclusion d’une convention de forfait annuelle en heures ne permet pas non plus à l’employeur de soutenir que le salarié relevait de la catégorie des cadres dirigeants
Un salarié engagé en qualité de Directeur Général d’une entreprise avait conclu avec son employeur une convention annuelle de forfait en heures.
Il en conteste la validité après avoir été licencié et obtient gain de cause, ce qui lui vaut le paiement d’un rappel de salaire au titre du paiement de heures supplémentaires qu’il a exécutées.
La Cour d’appel ayant retenu que le fait que l’intéressé ait conclu une telle convention excluait qu’il puisse avoir la qualité de cadre dirigeant,
L’employeur forme un pourvoi en cassation, soutenant que la signature d’une convention de forfait en heures n’est pas incompatible avec le statut de cadre dirigeant.
Argument inopérant, la Haute Juridiction énonce en effet que
« la conclusion d’une convention de forfait annuelle en heures, fût-elle ultérieurement déclarée illicite ou privée d’effet, ne permet pas à l’employeur de soutenir que le salarié relevait de la catégorie des cadres dirigeants » (Cass. soc. 11 mai 2023 n° 21-25522).