Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Conditions de fond des conventions de forfait

Les conventions de forfait en jours sur l’année présentent pour l’employeur la particularité, et l’avantage, de ne pas être soumis à la durée légale hebdomadaire de travail effectif, qui est de 35 heures, ainsi qu’aux durées légales maximales de travail, quotidienne (10 heures) et hebdomadaire (48 heures ou 44 heures en moyenne calculées sur une période de 12 semaines consécutives) (article L 3121-62 du Code du travail).

Ces dérogations n’autorisent pas pour autant les excès, la jurisprudence rappelant avec constance que les salariés bénéficient d’un droit à la santé et au repos qui figure au rang d’exigence constitutionnelle, signifiant de la sorte que l’application d’un forfait en jours sur l’année constitue une modalité du temps de travail qui doit impérativement ménager au salarié des temps de repos suffisants pour ne pas altérer sa santé.

L’accord collectif sur lequel elles sont fondées doit en outre assurer la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, afin de ne pas autoriser les dérives.

La Chambre sociale de la Cour de cassation y veille, et sur ce fondement, a privé d’effet de nombreux accords collectifs qui n’assuraient pas une telle garantie.

La convention de forfait en jours sur l’année est, par ailleurs, subordonnée à l’existence d’un accord écrit du salarié (contrat ou avenant au contrat), ainsi qu’à celle d’un accord collectif (de branche, d’entreprise ou d’établissement) sur lequel elle s’appuie.

Cet accord collectif détermine habituellement les moyens de contrôle mis en œuvre par l’employeur afin de s’assurer que la charge de travail du salarié restera « raisonnable » et que son droit à la santé et au repos n’est pas bafoué.

Un contrôle strict de la Chambre sociale de la Cour de cassation

La Cour régulatrice vient à nouveau de censurer les dispositions de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, dont l’article 5.7.2, modifié le 17 septembre 2015, n’était pas conforme à cet impératif.

Cet article se bornait en effet, concernant le suivi de la charge et de l’amplitude de travail du salarié, à prévoir un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique.

Les hauts magistrats ont considéré qu’il n’était pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié, et partant, à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé du salarié (Cass. Soc. 5 déc. 2018 n° 17-14063, Cass. Soc. 4 fév. 2015 n° 13-20891).

Sur le plan probatoire, il importe en outre de souligner que c’est à l’employeur qu’il incombe de rapporter la preuve qu’il a respecté les termes de l’accord collectif destinés à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours.

La charge de la preuve du respect de l’accord collectif incombe à l’employeur

avocat heures supplémentaires

Ce raisonnement procède du constat que l’employeur est débiteur de cette obligation et qu’il doit en assurer l’effectivité (article 1353 du Code civil).

Ainsi, un salarié qui exerçait les fonctions de directeur commercial dans une entreprise, contestait, après avoir été licencié, la validité de sa convention de forfait en jours sur l’année et réclamait le paiement d’heures supplémentaires.

Devant la Cour d’appel, l’employeur invoquait l’accord d’entreprise, qui stipulait que l’amplitude et la charge de travail des salariés en forfait jours étaient appréciées tous les mois suite à la remise d’un bordereau de décompte des journées travaillées par le salarié, et à la fin de chaque quadrimestre dans le cadre d’un entretien en cas d’absence de prise de jours de repos par le salarié.

L’employeur affirmait en conséquence qu’il appartenait au salarié de démontrer qu’il avait été défaillant et n’avait pas respecté les termes de cet accord collectif.

L’argument n’a pas convaincu la Cour d’appel, qui avait condamné l’employeur au paiement des heures supplémentaires.

La Chambre sociale de la Cour de cassation approuve, et énonce :

« Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours ; il n’était pas établi par l’employeur que, dans le cadre de l’exécution de la convention de forfait en jours, le salarié avait été soumis à un moment quelconque à un contrôle de sa charge de travail et de l’amplitude de son temps de travail, ce dont la cour d’appel avait valablement déduit que la convention de forfait en jours était sans effet, en sorte que le salarié était en droit de solliciter le règlement de ses heures supplémentaires » (Cass. Soc. 19 déc. 2018 n° 17-18725).

Cette solution mérite approbation, il appartient à l’employeur de justifier du respect de l’accord collectif.

action en justiceNullité du licenciement d'un salarié, licencié pour avoir menacé l'employeur d'une action en justice
contrôle activité salariéGéolocalisation et contrôle du temps de travail par l'employeur