Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Un changement d’affectation occasionnelle relève d’une modification des conditions de travail

Un salarié peut-il refuser une affectation occasionnelle sur un site distant de son lieu de travail habituel, et situé en dehors de son secteur géographique, alors que son contrat de travail ne prévoit aucune clause de mobilité ?

Précisons tout d’abord qu’un changement durable de lieu de travail, situé en dehors du secteur géographique, et alors que le contrat de travail ne comporte pas clause de mobilité, constitue une modification du contrat de travail, nécessitant l’accord du salarié pour être valable, son refus ne pouvant être considéré comme fautif (Cass. Soc.16 déc. 1998 n° 96-40227).

A contrario, lorsque le changement d’affectation d’un salarié se situe dans le même secteur géographique, il constitue un simple changement des conditions de travail, relevant du pouvoir de direction de l’employeur, de sorte qu’un refus de l’intéressé l’expose à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à son licenciement.

Ces solutions, constamment affirmées, ne sont pas toutefois pas applicables aux changements d’affectation occasionnels.

Plus précisément, la Cour de Cassation juge à cet égard, que si l’affectation occasionnelle d’un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement ou des limites prévues par une clause contractuelle de mobilité géographique peut ne pas constituer une modification de son contrat de travail, il n’en est ainsi que lorsque cette affectation est motivée par l’intérêt de l’entreprise, qu’elle est justifiée par des circonstances exceptionnelles, et que le salarié est informé préalablement dans un délai raisonnable du caractère temporaire de l’affectation et de sa durée prévisible (Cass. soc. 3 fév. 2010 n° 08-41412).

La Haute juridiction, employant une formulation restrictive (« peut ne pas »…) et l’entourant de conditions précises, juge ainsi que l’affectation occasionnelle du salarié, en dehors du secteur géographique, relève du pouvoir de direction de l’employeur et caractérise un changement des conditions de travail.

Mais ce n’est que lorsque les critères cumulatifs suivants seront réunis que le salarié devra accepter cette mobilité temporaire :

  • Intérêt de l’entreprise,
  • Justifié par des circonstances exceptionnelles,
  • Information préalable du salarié, dans un délai raisonnable, du caractère temporaire de l’affectation ainsi que de sa durée prévisible

Ces exigences permettent ainsi de soustraire le salarié à l’arbitraire de l’employeur et visent à répondre à une nécessité objective.

Deux illustrations nous permettent de vérifier l’application de ces règles en jurisprudence.

Dans une première affaire, une salariée était employée d’une cafétéria de l’enseigne Casino à Chatou (Yvelines), et son contrat de travail prévoyait qu’elle pourrait être affectée dans tout établissement Casino situé dans la ville de Chatou ou dans les localités limitrophes.

Le magasin dans lequel elle travaillait avait été fermé le 1er février 2003 pour cause de travaux, et cédé à un nouvel employeur, le contrat de travail des salariés avait été transféré, mais ils avaient cessé momentanément de travailler tout en continuant à être payés.

Quelques mois plus tard, le 29 août 2003, le nouvel employeur avait fait connaître à la salariée qu’elle devrait reprendre son travail à partir du 1er septembre suivant au magasin Leader Price de Saint-Denis (93) et qu’elle occuperait à nouveau son poste de travail à Chatou, dès la fin des travaux.

L’intéressée ayant refusé cette affectation, était licenciée pour faute grave, par lettre du 25 septembre 2003 lui reprochant son absence injustifiée depuis le 1er septembre 2003.

Son licenciement avait cependant été jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse, les Juges ayant retenu que la notification brutale à la salariée de son changement d’affectation ne comportait aucune indication quant à la durée de cette affectation (Cass. Soc. 3 fév. 2010 n° 08-41412).

Une nouvelle affaire vient confirmer la perpétuation de cette solution.

Un salarié travaillait dans le Gard pour la société « SPIE démantèlement et environnement nucléaire » (SPIE DEN).

Son contrat de travail comportait une clause de mobilité rédigée ainsi : « Vous serez localisé sur notre site X. Vous pourrez en fonction des besoins, être amené à vous déplacer sur l’ensemble des implantations de SPIE DEN, le lieu géographique n’est pas un élément déterminant dans la conclusion de ce contrat de travail. »

L’employeur l’avait alors affecté sur le site de Catenom, en Moselle.

Devant le refus du salarié de rejoindre cette affectation, il l’avait licencié pour faute grave.

Le salarié contestait son licenciement devant la juridiction prud’homale.

Les juges du fond lui avaient donné raison, après avoir retenu d’une part, que la clause de mobilité était entachée de nullité, au motif qu’elle ne comportait aucune précision sur sa zone géographique d’application et ne permettait pas au salarié, au moment de la signature du contrat, de savoir où sont localisées les implantations concernées.

Ils relevaient en outre que le salarié avait été informé le 11 mars 2013 de ce qu’il devait rejoindre le 19 mars 2013 le site de Cattenom très éloigné de son domicile.

Ils reprochaient enfin à l’employeur, auquel il incombait d’en rapporter la preuve, de ne pas établir que cette affectation était justifiée par des circonstances exceptionnelles.

Ils en avaient déduit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation les approuve et juge que le salarié n’avait commis aucune faute en refusant de rejoindre sa nouvelle affectation (Cass. Soc. 3 nov. 2016 n° 15-10950).

 

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