Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Les litiges relatifs à l’utilisation par l’employeur d’une caméra de surveillance, et plus largement au contrôle des salariés, se multiplient et la Cour de cassation vient une nouvelle fois de se prononcer sur les conditions de recevabilité d’un tel dispositif comme mode de preuve pour justifier, ou non, du licenciement d’un salarié.

Circonstances de l’affaire

Une salariée ayant 13 ans d’ancienneté, qui travaillait comme caissière dans une pharmacie à Mayotte, est licenciée pour faute grave, l’employeur lui reprochant trois fautes (1° saisie d’une quantité de produits inférieure à ceux réellement vendus, 2° vente des produits à un prix inférieur au prix de vente, 3° vente des produits sans les enregistrer) que les enregistrements vidéo de la pharmacie auraient permis d’établir.

La salariée conteste son licenciement, affirmant que l’employeur n’a pas respecté les dispositions relatives à la protection des données personnelles et a méconnu les exigences d’information individuelle ainsi que celle du CSE, préalablement à la mise en place de ce système dans l’entreprise.

La loi du 6 janvier 1978, à laquelle a succédé le RGPD (articles 12 et 25), met en effet à la charge de l’employeur l’obligation d’informer les salariés avant la mise en œuvre d’un dispositif de traitement de données à caractère personnel et de leur préciser la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par ce traitement.

En outre, le Code du travail lui impose l’information personnelle du salarié (article L 1222-4) et celle du CSE, avant l’introduction du dispositif de caméras de surveillance dans l’entreprise (article L 2312-38).

La Cour d’appel écarte cependant ces arguments et donne raison à l’employeur, estimant que « la loi autorise l’utilisation de système de vidéosurveillance dans des lieux ou des établissements ouverts au public particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol afin d’y assurer la sécurité des biens et des personnes, ce qui est bien le cas d’une pharmacie dans le contexte d’insécurité régnant à Mayotte ».

Elle ajoute que les salariés avaient signé une note de service les informant de la mise en place de ce système, et considère en conséquence que l’utilisation de la vidéosurveillance constituait un mode de preuve licite, validant ainsi le licenciement.Fichiers personnels sur ordinateur professionnel du salarié

Décision de la Cour de cassation

La Chambre sociale de la Cour de cassation ne partage pas cette appréciation, elle relève que le système de vidéosurveillance était certes destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise, mais qu’il permettait également de contrôler et de surveiller l’activité des salariés et avait été utilisé par l’employeur afin de recueillir et d’exploiter des informations concernant personnellement la salariée, ce dont il résultait que l’employeur aurait dû informer les salariés et consulter le comité d’entreprise sur l’utilisation de ce dispositif à cette fin ; à défaut, ce moyen de preuve tiré des enregistrements de la salariée était illicite, de sorte que son licenciement était injustifié (Cass. Soc. 10 nov. 2021 n° 20-12263).

Les exigences de sécurité invoquées par l’employeur ne l’autorisaient pas en effet à détourner la finalité invoquée de ce dispositif pour épier l’activité des salariés et recueillir des informations personnelles les concernant, au mépris du cadre légal.

Cet arrêt est de la même veine qu’une décision récente ayant jugé illicite la surveillance constante d’un salarié par une caméra de surveillance de l’entreprise, dès lors que ces captations attentaient à la vie personnelle du salarié et étaient disproportionnées au but allégué par l’employeur de sécurité des personnes et des biens (Cass. Soc. 23 juin 2021 n° 19-13856).

Ces décisions recadrent utilement des employeurs ayant fait une utilisation tous azimuts des caméras de surveillance implantées dans l’entreprise, en méconnaissance du cadre précis fixé par la Loi qui n’autorise pas un contrôle permanent des salariés.

Un mode de preuve illicite peut être retenu en matière prud’homale

La Chambre sociale de la Cour de cassation réaffirme par ailleurs dans cette affaire l’évolution récente de sa jurisprudence en matière de recevabilité d’un mode de preuve illicite.

Alors qu’elle s’était longtemps montrée très sourcilleuse sur l’utilisation par l’employeur de modes de preuve respectueux de la vie privée des salariés, elle a récemment franchi le Rubicon en autorisant l’employeur à s’en affranchir, lorsque la production d’éléments portant atteinte à la vie privée du salarié était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi (il s’agissait en l’occurrence de l’intérêt, jugé légitime, de l’employeur à la confidentialité de ses affaires) (Cass. Soc. 30 sept. 2020 n° 19-12058 et Cass. Soc. 25 nov. 2020 n° 17-19523).

La solution est reprise dans l’arrêt du 10 novembre 2021, la Haute juridiction mettant en exergue sa nouvelle interprétation : « l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Les cartes sont donc rebattues et les limites du droit de la preuve redessinées, ce qui doit en principe profiter aussi bien au salarié qu’à l’employeur.

On attend donc avec impatience de savoir si la Cour régulatrice autorisera ainsi la production d’enregistrements audios réalisés par un salarié licencié à l’insu de l’employeur lorsque c’est l’unique moyen dont il dispose pour démontrer les manœuvres déloyales qu’il utilise… ce qu’elle refuse de faire jusqu’à présent.

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