Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Une modification du périmètre d’appréciation de la cause économique

L’un des points de la réforme du droit du travail qui avait soulevé la plus forte réprobation, après le plafonnement des indemnités prud’homales, portait sur la modification de la définition du licenciement pour motif économique.

Nous avions évoqué les termes de l’avant-projet de loi, et regrettions vivement que la jurisprudence élaborée par la Chambre sociale de la Cour de cassation soit ainsi remise en cause.

Il semble que le premier ministre ait envisagé, afin de calmer les esprits et de s’attirer les grâces de plusieurs organisations syndicales, de modifier à la marge cette définition, dans le but « d’éviter que les grands groupes puissent provoquer artificiellement des difficultés économiques sur leur site français pour justifier un licenciement » (cit).

On fera observer que c’est précisément à cet objectif que répond la jurisprudence actuelle…

Et notamment pour couper court à ces artifices, que la cause économique invoquée par l’employeur doit être vérifiée au niveau du secteur d’activité du groupe, toutes filiales confondues.

La modification du périmètre d’appréciation de la cause économique de licenciement, pour en fixer les limites au seul territoire national, constituerait une régression importante pour la défense des droits des salariés.

Corrélativement, elle soulagerait à l’évidence bon nombre d’employeurs…

On a conservé en mémoire les nombreux exemples de groupes internationaux prospères, ayant fait le choix stratégique de cesser leurs activités en France, et provoqué, par suite de cette décision, la liquidation judiciaire de leurs filiales françaises, entrainant dans leur sillage des licenciements pour motifs économiques massifs.

Des difficultés économiques limitées à l’entreprise et non plus au groupe

La définition de l’avant-projet de loi, préfigure que les difficultés économiques pourraient être caractérisées lorsque l’entreprise, et elle seule, connait « soit une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs, par des pertes d’exploitation pendant plusieurs mois, soit par une importante dégradation de la trésorerie », ce qui constituerait une véritable régression.

L’actualité judiciaire nous offre une illustration de l’intérêt que présente la jurisprudence actuelle, qui permettra au lecteur de mieux en saisir la portée.

Un salarié occupant le poste de responsable technique régional, dans une société KIS, qui appartenait au groupe international PHOTO-ME, avait été licencié en 2009 pour motif économique, dans le cadre d’un licenciement collectif ayant donné lieu à un plan de sauvegarde de l’emploi.

Il contestait devant la juridiction prud’homale la validité de son licenciement, arguant de l’inexistence du motif économique.

PHOTO-ME INTERNATIONAL, groupe d’origine britannique, se présente comme l’un des principaux acteurs mondiaux de l’équipement photographique automatique, et avait, au moment du licenciement, une activité de commercialisation et d’exploitation de machines automatiques dans 20 pays et une activité de conception de fabrication et de commercialisation de laboratoires de développement et de tirages sur deux sites : en France, la société KIS, qui employait le salarié, et en Suisse, la société IMAGING SOLUTIONS.

L’intéressé faisait valoir que toutes les sociétés du groupe exerçaient leur activité dans le secteur de la photographie de sorte que les difficultés économiques devaient être appréciées au niveau du groupe.

L’employeur soutenait au contraire que les difficultés économiques devaient être appréciées uniquement au niveau de la société KIS car elle était la seule société du groupe à exercer une activité de conception et de fabrication de cabines et kiosques photographiques.

De l’intérêt de la prise en compte des difficultés économiques au niveau du groupe

La Cour d’appel, dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation, a retenu que l’activité de conception et de fabrication, et celle de commercialisation et d’exploitation de machines photographiques, ne constituaient pas des secteurs distincts au motif que toutes deux relevaient du « marché de l’équipement photographique automatique », refusant de retenir un périmètre du secteur d’activité trop restrictif.

C’est en toute logique qu’elle est approuvée par la Haute juridiction, qui considère que les sociétés du groupe relevaient toutes du même secteur d’activité, en sorte que les difficultés économiques devaient être appréciées au niveau du groupe et non de la seule société KIS, la cour d’appel avait en outre constaté que celle-ci ne produisait aucun élément sur la situation économique du groupe, et en a déduit à bon droit que le licenciement du salarié était dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 11 mars 2016 n° 14-18647).

L’avant-projet de réforme de droit du travail, pris dans son acception actuelle, en retenant la situation du secteur d’activité en France exclusivement, aurait selon toute vraisemblance permis de justifier le licenciement du salarié.

non paiement clause de non-concurrenceRéforme du droit du travail, acte II
L'indemnité contractuelle de licenciement