Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Décidément, les seniors vivent une fin de carrière difficile !

Écartelés entre un employeur qui les trouve trop vieux, trop chers, pas assez malléables, à l’affût du moindre écart pour les congédier en invoquant une insuffisance professionnelle…. et une réforme des retraites qui a repoussé l’âge de départ à la retraite de deux ans …

Le chemin pour une fin de carrière paisible s’apparente à un parcours d’obstacles !

Force est de constater que si le maintien dans l’emploi des seniors fait actuellement l’objet de toutes les attentions dans les arcanes du pouvoir, le message a du mal à infuser dans les entreprises, où il ne fait pas toujours bon avoir plus de 55 ans.

Les chiffres sont éloquents : en 2022, le taux d’emploi des 25-49 ans était de 82,5 %, il était encore de 76,4 % (en hausse ces dernières années…) pour les 55-59 ans, mais de 36,2 % pour les 60-64 ans.

A qui la faute ?

Sûrement pas à l’employeur, vertueux et responsable, qui bénéficie au demeurant d’aides multiples tant à l’embauche qu’au maintien dans l’emploi des seniors.

C’est évidemment au salarié, cossard invétéré qui ne veut plus travailler et cherche à quitter l’entreprise à l’approche de l’âge de la retraite pour s’occuper de son jardin et ne plus avoir à subir des clients grincheux !

C’est en tout cas le prisme du ministre de l’économie, qui, s’aventurant dans un domaine qui ne relève pourtant pas de sa compétence, entend réduire la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi seniors.

Car c’est bien connu, plus la durée d’indemnisation est longue, plus le chômeur s’encroûte et refuse de chercher du travail.

La réduction de la durée d’indemnisation lui mettra donc le coup de fouet nécessaire pour qu’il se remette enfin au travail, et tant pis si en dépit des efforts qu’il aura déployés aucun employeur ne voudra l’embaucher.

La précarité des demandeurs d’emploi en fin de droits est une légende, le marché du travail tourne à plein régime et il ne tient donc qu’à eux de trouver un emploi (au besoin, en traversant la rue…).

Le lointain souvenir de la contribution Delalande

Qu’il est loin le temps où nos gouvernants considéraient que l’employeur n’était pas complétement étranger au taux de chômage des seniors, lorsqu’il se défaussait sur le service public de l’emploi pour indemniser les salariés aux cheveux grisonnants qu’il jugeait indésirables dans son entreprise.

En 1987, pour les dissuader d’agir de la sorte, le législateur avait instauré une contribution financière pesant sur les entreprises licenciant un salarié âgé de plus de 50 ans.

Cette contribution « Delalande », dont le montant variait entre 2 et 12 mois de salaire selon l’âge du salarié licencié, a été La durée d'indemnisation des chômeurs seniors a été réduiteabrogée en 2007.

Son existence avait été critiquée car il lui était reproché de constituer un frein à l’embauche des plus de 50 ans et d’avoir pour effet délétère de provoquer des licenciements à l’approche de l’âge fatidique de 50 ans.

Reconnaissons-lui au moins le mérite d’avoir fait peser la responsabilité du licenciement sur son auteur, l’employeur, et non de culpabiliser les salariés d’une situation qu’ils subissent.

Petit rappel sur les règles actuelles d’indemnisation du chômage pour les plus de 53 ans

Tout d’abord, depuis le 1er février 2023, la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi a été réduite de 25 %.

Ceci est la conséquence des dispositions de la loi « marché du travail » du 22 décembre 2022, qui prévoit que « les droits à l’allocation peuvent être modulées en tenant compte d’indicateurs conjoncturels sur l’emploi et le fonctionnement du marché du travail » (article L 5422-2-2 du Code du travail).

Le taux de chômage étant de 7,2 % à la fin de l’année 2022, ce qui révèle la bonne santé du marché du travail, la durée d’indemnisation est revue à la baisse.

Ainsi, la durée maximale d’indemnisation est de 22,5 mois, soit 685 jours calendaires, pour les allocataires âgés de 53 à 54 ans.

Elle est de 27 mois, soit 822 jours calendaires, pour les allocataires âgés de 55 ans ou plus.

Une réduction envisagée par les pouvoirs publics

Le sémillant ministre de l’économie, qui, comme nous l’avons souligné déborde de son rôle, a donc trouvé la martingale pour permettre aux plus de 55 ans de se mobiliser afin de retrouver rapidement du travail.

Elle consiste tout simplement à réduire leur durée d’indemnisation pour l’aligner sur celle des demandeurs d’emploi de droit commun, qui est limitée à 18 mois.

Il fallait y penser !

Le ministre du travail qui n’a pas voulu être en reste a, quant à lui, une vision sensiblement divergente.

Il propose de reporter de deux ans l’âge des bénéficiaires d’une retraite majorée, pour le porter à 57 ans.

La durée d’indemnisation de 27 mois serait alors ouverte aux demandeurs d’emploi âgés de 57 ans et plus (sous réserve qu’ils disposent de la période de cotisation nécessaire).

Les salariés âgés de 56 ans licenciés auraient donc une durée d’indemnisation de 18 mois, de sorte qu’ils se trouveraient en fin de droit à 58 ans maximum s’ils n’ont pas retrouvé d’emploi….

Il ne leur restera plus qu’à bénéficier de l’ASS (actuellement de 18,17 € par jour) en attendant de pouvoir liquider leur retraite à 64 ans si leur recherche d’emploi s’est révélée infructueuse.

Mais cette hypothèse est évidemment exclue puisqu’ils auront nécessairement retrouvé du travail dans un marché où les entreprises accueillent les seniors à bras ouverts…

La discrimination liée à l’âge : mythe ou réalité ?

Une récente décision illustre, s’il en était besoin, que la discrimination à l’embauche en raison de l’âge a encore la vie dure !

Une candidate âgée de 57 ans adresse sa candidature avec un curriculum vitae anonyme à la RATP pour un poste d’animateur agent mobile.

La charte de la diversité de l’entreprise promouvait l’anonymat de la phase de sélection, ce qui avait attiré l’attention de l’intéressée.

Elle est convoquée à une journée de tests, mais en raison d’une indisponibilité temporaire en demande le report.

L’entreprise l’interroge alors sur sa date de naissance, et craignant d’être discriminée, la salariée refuse de répondre.

L’employeur, invoquant son refus, ne la reconvoque pas.

La salariée saisit alors la juridiction prud’homale, soutenant que ce refus caractérisait une discrimination indirecte liée à l’âge, sanctionnée par les dispositions de l’article L 1132-1 du Code du travail.

Les juges avaient constaté que le listing des nouveaux agents recrutés par tranche d’âge ne comportait aucun agent de plus de 56 ans.

Au terme d’un long parcours judiciaire, la candidate malheureuse obtient satisfaction devant la Cour de cassation, la décision de l’employeur n’étant pas objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime (Cass. Soc. 6 sept. 2023 n° 22-15514).

Bon courage donc aux salariés en recherche d’emploi à 55 ans passés !

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