Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

L’employeur peut-il fonder le licenciement d’un salarié sur la seule foi de témoignages anonymes ?

Si l’anonymat préserve les témoins de la désapprobation, de l’hostilité, voire des représailles, il autorise aussi les dérives et la calomnie.

Or, la preuve repose en droit du travail sur un principe de loyauté, qui garantit le salarié contre l’arbitraire.

A ce titre, le licenciement d’un salarié qui reposerait sur un stratagème mis en place par l’employeur dans le but de le piéger a été jugé à de multiples reprises illicite.

C’est ainsi que le licenciement pour faute grave d’une salariée à la suite de l’encaissement de produits vendus et du défaut d’enregistrement de deux ventes, après que l’employeur ait envoyé de faux clients afin de payer leurs achats en espèces, a été jugé sans cause réelle et sérieuse, au motif que ces deux témoins n’étaient pas dans le magasin par hasard et que leur présence résultait d’un stratagème mis en place par l’employeur afin de contrôler à son insu les pratiques de la salariée (Cass. Soc. 19 nov. 2014 n° 13-18749).

De la même manière, l’introduction de lettres dites « festives » dans la tournée d’une factrice, présentant la particularité de diffuser une encre bleue si elles sont ouvertes, dans le but argué par l’employeur de mettre fin à des agissements frauduleux, n’est pas davantage admissible, la chambre sociale de la Cour de cassation jugeant que « si l’employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l’activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle clandestin et à ce titre déloyal » (Cass. Soc. 4 juill. 2012 n° 11-30266).

On sait également que l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée à l’insu de l’auteur des propos invoqués est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue (Cass. Soc. 16 mars 2011 n° 09-43204).avocat indemnités prud'hommes

Un licenciement ne peut reposer uniquement ou de manière déterminante sur un témoignage anonyme

Dans l’affaire examinée, des salariés avaient saisi la direction éthique de la SNCF des pratiques qu’ils imputaient à un salarié occupant un poste d’acheteur expert bâtiment.

L’employeur avait alors procédé à une enquête au cours de laquelle il avait entendu plusieurs salariés sous le sceau de l’anonymat, à l’issue de laquelle il avait établi un rapport.

Sur la foi de ces témoignages, le salarié avait été licencié pour faute grave.

Il en contestait le bienfondé devant la juridiction prud’homale, soutenant notamment que le caractère anonyme des témoignages recueillis par l’employeur constituait une atteinte aux droits de la défense.

La Cour d’appel avait rejeté l’argument estimant que l’intéressé avait eu la possibilité d’en prendre connaissance et de présenter ses observations.

Au visa de l’article 6§3 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), la Cour de cassation censure les juges du fond, considérant que « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes » (Cass. Soc. 4 juill. 2018 n° 17-18241).

Cet article consacre l’importance attachée par la CEDH aux droits de la défense, et il n’est pas si courant que la Chambre sociale de la Cour de cassation le mette en exergue.

Si l’on ne peut que se satisfaire de cette décision, il importe de relever que les hauts magistrats précisent que les juges ne peuvent s’appuyer uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, ce qui laisse à entendre que des témoignages anonymes qui seraient corroborés par d’autres éléments objectifs seraient admissibles.

Se pose alors une autre question : quelle est la validité d’attestations produites par des salariés sous un lien de subordination à l’égard de l’employeur, et qui rédigeraient leur témoignage sous sa dictée et sans discernement ?

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