Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Une rémunération variable prévue par le contrat de travail

Il est fréquent, et nous avons déjà évoqué ce sujet, que la rémunération d’un salarié soit composée d’une partie fixe et d’une partie variable.

Cette partie variable dépend habituellement d’objectifs annuels à atteindre, pour autant qu’ils soient réalisables, et portés à la connaissance de l’intéressé en début d’exercice.

L’atteinte de ces objectifs ne pouvant être vérifiée qu’à posteriori, s’en suit couramment un décalage dans le temps entre leur réalisation et leur paiement, celui-ci pouvant intervenir trimestriellement ou annuellement.

On sait que la rémunération est un élément déterminant du contrat de travail ; elle constitue en outre bien souvent pour le salarié un facteur important de reconnaissance de son activité et de sa valeur professionnelle.

Mais lorsque le contrat de travail est rompu en cours d’année, à la suite notamment d’un licenciement ou d’une démission, le règlement de la rémunération variable due au salarié peut être source de conflit.

Les conditions d’exigibilité de la rémunération variable

Les réponses apportées par la jurisprudence à cette interrogation cruciale ont connu une évolution favorable dans le temps.

Intuitivement, l’équité commanderait que le salarié qui a réalisé pendant une partie de l’année les objectifs qui lui étaient assignés, bénéficie de la prime ou de la rémunération variable à laquelle il prétend, quelle que soit la date de son départ, dés lors que son travail a été valablement accompli.

La position des Juges était cependant, historiquement, beaucoup plus restrictive.

Paiement des objectifs en cas de départ

Paiement des objectifs en cas de départ

Ils avaient en effet considéré, dans un premier temps, que le « droit au paiement prorata temporis d’une somme à un membre du personnel ayant quitté l’entreprise, quel qu’en soit le motif, avant la date de son versement, ne peut résulter que d’une convention ou d’un usage dont il appartient au salarié de rapporter la preuve » (Cass. soc 5 mars 1993 n° 89-43464).

En clair, excepté le cas où le contrat de travail, l’usage ou un accord collectif le prévoyait, le paiement n’était pas dû en cas de départ du salarié de l’entreprise, avant la date fixée par l’employeur pour le paiement effectif de la prime.

Évolution de la jurisprudence

Ainsi dans cette affaire, des salariés qui avaient été licenciés et dont le contrat de travail avaient pris fin le 16 décembre, avaient réclamé en justice le paiement d’une prime proportionnellement à leur temps de présence dans l’entreprise.

Leur demande a été rejetée, car ils avaient quitté l’entreprise avant le 31 décembre, date fixée par l’employeur pour le règlement de la prime, et qu’ils ne rapportaient pas la preuve de l’existence d’une convention ou d’un usage prévoyant le paiement au prorata du temps de présence.

Cette solution, guidée par une vision aujourd’hui désuète du pouvoir de direction de l’employeur, a commandé la position de la Cour de cassation pendant de nombreuses années.

L’amorce d’un timide changement est apparue après plus d’une décennie, les Hauts magistrats jugeant que lorsque l’employeur s’était expressément engagé par écrit à maintenir au salarié qui quittait l’entreprise, l’ensemble des éléments de rémunération, la demande du salarié de paiement d’un rappel de salaire au titre de la partie variable de sa rémunération, était justifiée (Cass. soc 18 oct. 2007 n° 06-41586).

Ce modeste pas avait le mérite de rompre avec l’orthodoxie, et plaçait l’engagement pris par l’employeur au-dessus des critères habituellement employés.

Une jurisprudence désormais bien établie

L’éclaircie s’est faite attendre… jusqu’à ce que la Cour de cassation décide enfin, que « la prime litigieuse constituait la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité de sorte qu’elle s’acquérait au fur et à mesure » et en déduise que lorsque le départ d’un salarié était antérieur au versement de cette prime, il ne pouvait être privé d’un élément de sa rémunération auquel il pouvait prétendre au prorata de son temps de présence (Cass. soc 23 mars 2011 n° 09-69127).

La solution est désormais solidement ancrée.

Elle tient enfin compte de l’activité déployée par le salarié, laquelle prévaut même en cas d’existence d’un usage contraire (Cass. soc 12 mars 2014 n° 12-29141).

Il a ainsi été jugé qu’un salarié ayant quitté l’entreprise qui l’employait à la fin du mois de juin, après avoir atteint ses objectifs semestriels, et dont le plan de commissionnement n’exigeait pas expressément une condition de présence au 31 décembre, était fondé à demander le versement de la moitié du bonus conventionnel pour l’année concernée (Cass. soc. 6 oct. 2015 n° 14-13483).

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