Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Pour la première fois à notre connaissance, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que le non-respect par l’employeur des exigences relatives au forfait jours caractérise une violation de l’obligation de sécurité.

Cette articulation procède du constat que la méconnaissance du forfait jours, en raison d’une durée de travail excessive du salarié, est évidemment susceptible d’avoir des conséquences sur son état de santé.

Surcharge de travail et obligation de sécurité de l’employeur

La surcharge de travail de travail produit fréquemment des conséquences délétères sur l’état de santé du salarié en étant susceptible de provoquer son épuisement physique et mental.

De nombreuses études établissent en effet qu’une surcharge de travail constitue un facteur de risque important sur la santé physique et psychique des salariés, le burn-out en étant un des symptômes les plus connus.

Or, l’obligation de sécurité, prévue par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail, impose à l’employeur, d’une part, de prévenir les risques professionnels, d’autre part, de protéger les salariés en agissant de manière effective pour mettre un terme à toute situation affectant la santé ou la sécurité des salariés lorsqu’il en a connaissance.

La méconnaissance par l’employeur de cette obligation essentielle engage sa responsabilité à l’égard du salarié (Cass. Soc. 29 sept. 2021 n° 20-12073).salarié en activité partielle et temps de travail

C’est ainsi notamment que la Haute juridiction a pu juger que lorsque l’absence prolongée du salarié pour cause de maladie résulte d’un manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité de résultat, ses conséquences sur le fonctionnement de l’entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement (Cass. Soc. 13 mars 2013 n° 11-22082).

Il s’agissait en l’occurrence d’une salariée, en arrêt maladie depuis plusieurs mois en raison d’une surcharge de travail qui avait généré son épuisement professionnel, et que l’employeur avait licenciée en invoquant la perturbation que son absence prolongée causait au fonctionnement de l’entreprise.

La Chambre sociale a jugé que son licenciement, qui était la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, était injustifié.

La validité du forfait jours est soumise au respect d’une durée de travail raisonnable

D’un autre côté, le forfait en jours sur l’année, appliqué à de très nombreux cadres par les entreprises et permettant une grande souplesse sur les horaires de travail, n’autorise pas tous les excès.

Là encore, la jurisprudence a posé des exigences précises en énonçant que, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Cass. Soc. 13 oct. 2021 n° 19-20561).

Il incombe en outre à l’employeur de réaliser un suivi effectif et régulier du temps travaillé par le salarié, de sorte qu’il puisse remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable (Cass. Soc. 6 nov. 2019 n° 18-19752).Heures supplémentaires

La Cour de cassation ne manque pas une occasion de rappeler dans les nombreuses décisions qu’elle rend, portant sur la contestation de la validité des forfaits jours, que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Il n’est donc pas surprenant qu’elle réalise aujourd’hui la synthèse des obligations pesant sur l’employeur au titre de son obligation de sécurité et de celles découlant du forfait jours, et sanctionne celui qui les ignore.

Non-respect du forfait jours et manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité

L’affaire concernait un médecin du travail, salarié de la société ACCENTURE.

L’intéressé avait vainement alerté à plusieurs reprises son employeur sur sa charge de travail et sur le stress engendré par cette situation, dans un contexte où le service médical était en sous-effectif, sans qu’il en tienne compte, et sa santé s’était dégradée.

De guerre lasse, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de dommages-intérêts au titre du non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité (et avait été licencié quelques mois plus tard).

Sa demande avait été rejetée par la Cour d’appel, qui estimait que le comportement de l’employeur était exempt de tout reproche.

La Chambre sociale de la Cour de cassation censure cette analyse erronée.

Elle pose tout d’abord que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et justifier avoir pris toutes les mesures prévues au titre des dispositions du code du travail.

Il appartient donc à l’employeur, sur lequel repose la charge de la preuve, de justifier de ses diligences à cet égard, et non au salarié d’établir ses défaillances.

Or, l’employeur ne justifiait pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables et assuraient une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont il résultait que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité (Cass. Soc. 2 mars 2022 n° 20-16683).

Cette solution, qu’on approuve pleinement, consacre le fait que l’employeur, qui méconnait les exigences relatives au respect d’une charge de travail raisonnable du salarié, viole par là-même l’obligation de sécurité à laquelle il est tenu, et doit en conséquence réparer le préjudice subi par le salarié.

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