Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

A quoi servent les commissions paritaires de l’emploi ?

En matière de licenciement pour motif économique, l’employeur a une obligation déterminante, l’obligation de reclassement (prévue par l’article L 1233-4 du Code du travail), qui lui impose d’accomplir de manière effective des diligences afin de préserver, autant que faire se peut, l’emploi du ou des salarié(s) concerné(s) en recherchant toutes les possibilités de reclassement qui peuvent leur être proposés dans l’entreprise, et le cas échéant dans le groupe auquel elle appartient.

Dans plusieurs branches d’activité professionnelle, les partenaires sociaux ont en outre instauré des commissions paritaires de l’emploi, territoriales ou nationales, dotées de compétences propres, ayant entre autres mission d’élargir l’horizon et de rechercher des possibilités de reclassement externes lorsqu’une entreprise procède à des licenciements collectifs pour motif économique.

Un tel dispositif est ainsi prévu par les conventions collectives de la métallurgie, des bureaux d’études techniques (dite SYNTEC), et bien d’autres encore (entreprises de prévention et de sécurité, de la fabrication d’ameublement…).

La question s’est alors posée de savoir quelle était la valeur que le Juge accordait à la saisine de cette commission avant que l’employeur procède au licenciement.

Position de la Cour de cassation sur la nécessité, ou non, pour l’employeur de saisir la commission paritaire de l’emploi

Dans une affaire Moulinex, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait considéré que l’ accord national sur l’emploi dans la métallurgie imposait à l’ employeur qui envisage de prononcer des licenciements pour motif économique de « rechercher les possibilités de reclassement à l’ extérieur de l’ entreprise, en faisant appel à la commission territoriale de l’ emploi », elle en avait déduit que la méconnaissance par l’employeur de dispositions conventionnelles qui étendaient le périmètre de reclassement et prévoyaient une procédure destinée à favoriser un reclassement à l’extérieur de l’entreprise, avant tout licenciement, constitue un manquement à l’obligation de reclassement préalable au licenciement, de sorte que le licenciement des salariés était sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 28 mai 08 n° 06-46009).

La Cour régulatrice faisait ainsi de la saisine de la commission une condition de fond, et l’employeur négligeant, qui privait le salarié d’une possibilité de reclassement à l’extérieur de l’entreprise manquait à son obligation de reclassement, le licenciement étant donc injustifié.

Elle affirmait ensuite que lorsqu’une entreprise avait l’obligation conventionnelle de saisir la commission territoriale de l’emploi, en vertu de l’accord collectif applicable, le non-respect de cette obligation suffisait à invalider le licenciement (Cass. Soc. 30 sept. 2013 n° 12-15940).

Cette position très ferme a ensuite connu des vicissitudes, pour se réduire en définitive à une peau de chagrin.

Les exigences à géométrie variable de la Cour de cassation

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C’est ainsi que des salariés avaient reproché à leur employeur, ayant saisi la commission territoriale de l’emploi compétente, de ne pas lui avoir fourni de renseignements personnels relatifs notamment à leur âge, leur ancienneté, les fonctions qu’ils occupaient, leur qualification et éventuels diplômes… et en conséquence d’avoir méconnu son obligation individuelle de reclassement.

L’argument est rejeté par la Chambre sociale, qui énonce que l’obligation de saisir la commission territoriale de l’emploi n’imposait pas à l’employeur de lui fournir une liste nominative des salariés dont le licenciement est envisagé ni leur profil individuel (Cass. Soc. 17 mars 2015 n° 13-24303).

Surprenante décision, où l’obligation de l’employeur se révèle de pure forme, saisir la commission territoriale, sans lui donner les moyens de pourvoir utilement au reclassement du salarié.

Poursuivant son œuvre de détricotage, la Cour de cassation a ensuite jugé, à propos de la commission paritaire nationale de l’emploi des entreprises de prévention et de sécurité, que l’accord collectif qui l’instituait n’attribuait pas de missions à cette commission en matière de reclassement externe, en sorte qu’aucune obligation de saisine préalable de la commission paritaire de l’emploi destinée à favoriser un reclassement à l’extérieur de l’entreprise, avant tout licenciement pour motif économique de plus de dix salariés, n’était applicable (Cass. Soc. 11 juillet 2016 n° 15-12752).

Cette solution a été reprise à propos de la commission paritaire de l’emploi instituée par la convention collective de l’ameublement ; les partenaires sociaux ne lui ayant pas attribué de mission particulière de reclassement externe préalablement aux licenciements envisagés, un salarié n’était pas fondé à reprocher à son employeur l’absence de saisine de la commission paritaire avant son licenciement (Cass. Soc. 16 nov. 2017 n° 16-14572).

La Haute juridiction établissait alors une distinction selon que l’accord collectif instituant la commission paritaire de l’emploi lui confie, ou non, une mission d’aide aux reclassements externes en cas de licenciements économiques collectifs.

Si l’accord collectif ne confie pas à la commission paritaire de l’emploi une mission de reclassement externe des salariés, l’employeur n’est pas tenu à une quelconque obligation à cet égard, à l’inverse, si cela fait partie des attributions de la commission, l’employeur a l’obligation de la saisir avant tout licenciement économique collectif.

Dans une toute dernière décision, la Cour de cassation vient encore de faire un pas en arrière

Des salariés licenciés pour motif économique dans le cadre d’un PSE, dont la relation de travail était régie par la convention collective des bureaux d’études techniques et cabinets de conseil (dite SYNTEC), reprochaient à leur employeur son absence de saisine de la commission paritaire de l’emploi.

La Cour d’appel leur avait donné raison, jugeant que ce manquement caractérisait une méconnaissance de l’obligation de reclassement et que les licenciements étaient injustifiés.

La Chambre sociale de la Cour de cassation n’est cependant pas de cet avis et censure cette décision.

Elle relève que l’accord du 30 octobre 2008 relatif à la commission paritaire de l’emploi, attaché à la convention collective « SYNTEC », prévoit en cas de licenciement collectif pour motif économique portant sur plus de 10 salariés, un mécanisme complexe où l’employeur doit informer la commission, laquelle doit ensuite être saisie par les organisations syndicales de salariés ou d’employeurs contractantes pour pouvoir se réunir et examiner le projet de licenciement élaboré par l’employeur.

Elle énonce ensuite qu’ « Il en résulte que, si l’employeur est tenu d’informer la commission paritaire nationale de l’emploi du projet de licenciement économique collectif, seule la saisine de ladite commission par les organisations syndicales de salariés ou d’employeurs contractantes de l’accord du 30 octobre 2008 la conduit à exercer la mission qui lui est attribuée en matière de reclassement externe. Il s’en déduit que l’accord du 30 octobre 2008 ne met pas à la charge de l’employeur une obligation de saisine préalable de la commission paritaire de l’emploi destinée à favoriser un reclassement à l’extérieur de l’entreprise dont la méconnaissance priverait les licenciements de cause réelle et sérieuse » (Cass. Soc. 8 sept. 2021 n° 19-18959).

En clair, la Cour de cassation poursuit le raisonnement qu’elle avait adopté en exonérant l’employeur de toute sanction…

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