Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Versement d’une prime et condition de présence
Un employeur peut-il exiger d’un salarié une condition de présence dans l’entreprise pour le faire bénéficier d’une prime se rapportant à une période antérieure au cours de laquelle il a travaillé ?
Cette question intéresse pour l’essentiel les salariés dont le contrat de travail prévoit une rémunération variable, la part variable étant liée à l’atteinte d’objectifs fixés selon une périodicité déterminée.
Bon nombre d’employeurs apportent une réponse négative à cette interrogation, peu enclins à payer une certaine somme à un salarié qui a démissionné ou est licencié, qu’importent les conséquences juridiques.
Un tel comportement n’est cependant pas tout à fait conforme à la règle de droit…
La Chambre sociale de la Cour de cassation vient en effet de rappeler que, « si l’ouverture du droit à un élément de rémunération afférent à une période travaillée peut être soumise à une condition de présence à la date de son échéance, le droit à rémunération, qui est acquis lorsque cette période a été intégralement travaillée, ne peut être soumis à une condition de présence à la date, postérieure, de son versement ».
En d’autres termes, si le contrat de travail d’un salarié prévoit, par exemple, le versement d’une prime trimestrielle à objectifs atteints ; lorsqu’il s’agit d’un élément de rémunération du salarié, pour en bénéficier, l’intéressé doit, d’une part, avoir atteint les objectifs fixés, d’autre part, être toujours présent dans l’entreprise à la fin du trimestre de référence.
L’employeur n’étant pas fondé à exiger sa présence dans l’entreprise pendant toute l’année.
Pour instiller le doute auprès des salariés, il arrive que le contrat de travail pose lui-même pour exigence une condition de présence du salarié après la période litigieuse, l’employeur s’appuyant alors sur cette stipulation et sur la signature de l’intéressé pour refuser le paiement.
La jurisprudence de la Cour de cassation ne s’embarrasse cependant pas de cet obstacle, qu’elle écarte.
Illustration avec une condition de présence prévue par le contrat de travail
Le contrat de travail d’une salariée, exerçant des fonctions de responsable du développement commercial, stipule que les primes « nouveaux clients » et « sur le chiffre d’affaires » ne sont dues que pour autant qu’elle soit en poste dans l’entreprise au-delà du 31 décembre de l’année de référence.
La salariée est licenciée le 19 octobre 2010 et réclame devant la juridiction prud’homale le paiement d’une prime de nouveaux clients qu’elle a générée pendant l’exercice 2009/2010.
L’employeur refuse de lui régler les primes commerciales auxquelles elle a droit, prenant prétexte de la rupture de son contrat de travail en cours d’année.
La Chambre sociale de la Cour de cassation donne raison à la salariée et énonce à cette occasion que « les primes litigieuses constituaient la partie variable de la rémunération versée à la salariée en contrepartie de son activité de sorte qu’elles s’acquéraient au prorata de son temps de présence dans l’entreprise au cours de l’exercice », l’employeur n’avait donc aucun droit de l’en priver (Cass. Soc. 29 sept. 2021 n° 13-25549).
La Haute juridiction retient que les primes constituaient une partie variable de la rémunération de la salariée, liée à son activité et qu’elle y avait donc droit.
Quid lorsque le contrat de travail ne comporte pas de condition de présence ?
En l’absence de prévision dans le contrat de travail
Un salarié, directeur d’un hypermarché, est licencié pour faute grave le 19 novembre 2014.
Il saisit le Conseil de prud’hommes d’une demande de paiement de sa prime sur objectifs pour l’année 2014, le contrat de travail ne fixant aucune condition de présence au paiement de la prime litigieuse.
Il est néanmoins débouté à hauteur d’appel, la Cour lui objectant que le droit au paiement prorata temporis de la prime, pour un salarié ayant quitté l’entreprise quel qu’en soit le motif avant la date de son versement, ne peut résulter que d’une convention (contrat de travail) ou d’un usage dont il appartient au salarié d’en rapporter la preuve ; or le salarié ne peut en justifier.
La Chambre sociale de la Cour de cassation censure cette motivation et l’exigence posée par les Juges du second degré, considérant que « lorsqu’une prime constitue la partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité, elle s’acquiert au prorata du temps de présence du salarié dans l’entreprise au cours de l’exercice » (Cass. Soc. 16 déc. 2020, n° 19-12209).
Une solution qui a le mérite de la constance
Ainsi que l’illustre cette dernière décision.
Une salariée, chef de projet, est licenciée pour motif économique.
Son contrat de travail prévoit qu’elle peut bénéficier d’une rémunération variable complémentaire, déterminée en fonction de la réalisation d’objectifs convenus entre les parties au plus tard le 31 décembre de l’année précédente.
Il précise en outre que « cette rémunération variable complémentaire ne sera due au titre de l’année N qu’à condition de la présence continue de la salariée dans l’entreprise au titre de cette même année N ».
Ayant été licenciée le 16 août, l’employeur considère qu’elle ne pouvait prétendre au versement de la rémunération variable complémentaire subordonné à sa présence continue au titre de l’année de référence.
Cette analyse n’est évidemment pas partagée par la Cour régulatrice, qui juge que la prime litigieuse constituait la partie variable de la rémunération versée à la salariée en contrepartie de son activité, de sorte qu’elle s’acquérait au fur et à mesure au cours de l’exercice, elle pouvait donc prétendre au paiement de la part variable de sa rémunération (Cass. soc. 17 mai 2023 n° 21-24273).