Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
La possession d’un diplôme constitue-t-elle un avantage définitif justifiant en toutes circonstances que son détenteur soit mieux payé qu’un collègue de travail exerçant les mêmes fonctions et doté de la même qualification, mais pourvu d’un diplôme de niveau inférieur (ou non diplômé) ?
La réponse de principe : sauf cas particulier, la différence de diplôme ne justifie pas une différence de rémunération entre salariés exerçant les mêmes fonctions
Le principe d’égalité de traitement entre salariés s’oppose à ce que la seule possession d’un diplôme plus élevé confère un avantage définitif à son titulaire au détriment de son collègue.
La solution retenue par la Chambre sociale de la Cour de cassation est donc que :
La seule différence de diplômes, ne permet pas de fonder une différence de rémunération entre des salariés qui exercent les mêmes fonctions, sauf s’il est démontré par des justifications, dont il appartient au juge de contrôler la réalité et la pertinence, que la possession d’un diplôme spécifique atteste de connaissances particulières utiles à l’exercice de la fonction occupée (Cass. Soc. 13 nov. 2014 n° 12-20069).
L’affaire opposait deux salariés, dont l’un s’estimait lésé par rapport à un collègue, qui occupait des fonctions identiques au sein du même service.
Celui-ci, tout en ayant une moindre ancienneté, était classé à un niveau conventionnel supérieur au sien et percevait une rémunération de 20 % plus élevée.
Pour en justifier, l’employeur arguait que le salarié disposait d’un diplôme d’ingénieur d’une école supérieure de physique et chimie industrielle et d’un DEA d’électronique et instrumentation, tandis que celui qui se plaignait de cette différence ne disposait que d’un bac G2 et d’un certificat de fin d’études de formation aux fonctions d’encadrement.
Pour autant, le poste occupé par ces deux salariés exigeait principalement des compétences en matière commerciale.
D’autre part, l’intéressé pouvait se prévaloir d’une connaissance approfondie des matériels vendus par l’entreprise, tandis que son collègue surdiplômé ne justifiait, au moment de son embauche, que d’une faible expérience en la matière.
Il a donc été jugé que l’expérience acquise pendant plus de vingt ans, par le salarié au sein de la société compensait largement la différence de niveau de diplôme invoquée.
Le diplôme d’ingénieur, dont il n’était pas démontré qu’il était utile à l’exercice de la fonction occupée par les salariés, n’était pas de nature à justifier la disparité de traitement litigieuse.
Précisons en outre qu’il appartient à l’employeur, sur lequel repose en l’espèce la charge de la preuve, de démontrer que le diplôme du salarié avec lequel la comparaison a lieu atteste de connaissances particulières utiles à l’exercice de la fonction occupée (Cass. Soc. 14 sept. 2022 n° 21-12175).
Toutefois, lors de l’embauche, une expérience professionnelle antérieure et la possession de diplômes peuvent, sous certaines conditions, justifier une différence de rémunération
Dans la continuité de cette jurisprudence, la Chambre sociale de la Cour de cassation a apporté une précision supplémentaire.
Elle rappelle d’abord qu’en application du principe d’égalité de traitement, si des mesures peuvent être réservées à certains salariés, c’est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l’avantage en cause, aient la possibilité d’en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes.
Elle considère à cet égard comme une raison objective et pertinente que :
L’expérience professionnelle acquise auprès d’un précédent employeur ainsi que les diplômes puissent justifier une différence de salaire, mais uniquement au moment de l’embauche et pour autant qu’ils soient en relation avec les exigences du poste et les responsabilités effectivement exercées (Cass. soc. 11 oct. 2023 n° 22-17222).
En d’autres termes, des différences de salaire peuvent exister entre un salarié qui vient d’être embauché et un collègue.
Sous réserve que le salarié nouvellement embauché et mieux rémunéré, dispose d’une expérience professionnelle antérieure dans un secteur d’activité similaire à celui de son nouvel employeur et qu’il soit titulaire d’un diplôme d’un niveau supérieur à celui de son collègue, lequel diplôme présente une utilité pour le poste occupé.
Il importe de souligner que cette différence de salaire n’a lieu d’être qu’à l’embauche du salarié expérimenté et diplômé.
Une différence qui perd de sa pertinence après l’embauche…
Ainsi que le rappelle une décision éclairante.
Deux salariés sont embauchés en qualité de technicien support à quelques semaines d’intervalle, puis tous deux bénéficient d’une promotion au même moment le 1er novembre 2001 à l’emploi de coordinateur technique avec la même classification et le même salaire.
L’un des deux se voit ensuite accorder, à partir du 1er janvier 2002, plusieurs augmentations de salaire portant sa rémunération mensuelle à la somme de 2 600 € en 2009, tandis que l’autre percevait à la même date un salaire mensuel de 2 350 €.
Ce dernier engage alors une action devant la juridiction prud’homale sur le fondement de l’inégalité de traitement.
La Cour d’appel rejette sa demande en jugeant que la disparité salariale était justifiée par l’expérience et les diplômes en matière d’informatique et de gestion, que l’autre salarié avait acquis antérieurement à son embauche.
Argument inopérant pour la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui juge au contraire que :
l’inégalité de salaire était injustifiée, dès lors que les salariés, engagés en qualité de technicien support avec une différence de rémunération, avaient ensuite été promus au même moment dans l’emploi de coordinateur technique avec la même classification et le même salaire (Cass. Soc. 23 mai 2023 n° 21-21902).
L’avantage qui pouvait faire sens lors de l’embauche perd de sa pertinence lors de l’exécution de la relation contractuelle, à plus forte raison sur une longue période.