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La dissimulation d’une relation amoureuse entre salariés peut-elle justifier un licenciement ?

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Vie amoureuse entre salariés et retentissement au sein de l’entreprise

L’amour entre deux salariés dans l’entreprise est-il répréhensible et expose-t-il ses protagonistes au pouvoir disciplinaire de l’employeur ?

Les rencontres sur le lieu de travail ne sont en effet pas une chimère et donnent parfois lieu à de belles histoires d’amour, mais les exposer au grand jour n’est pas sans risque.

Il est vrai que l’environnement professionnel peut être propice à faire éclore les élans du cœur.

Si l’insouciance commande au premier abord de considérer que la relation amoureuse entre deux personnes relève strictement de leur vie privée, et qu’elles sont libres de vivre leur romance sans crainte et sans se dissimuler, un certain réalisme devrait modérer cet enthousiasme.

Ce serait en effet ignorer les contingences de la vie en entreprise.

La vie personnelle des salariés n’échappe pas complètement à la vigilance de l’employeur, surtout quand elle est susceptible d’avoir un retentissement au sein de l’entreprise.

Les fonctions occupées par un salarié et/ou la particularité de l’activité de l’entreprise peuvent ainsi justifier, dans certaines circonstances, l’existence de restrictions à sa vie personnelle.

La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans son dernier état, a posé pour règle que :

Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Cette jurisprudence est abondante à l’égard de salariés ayant commis des infractions au code de la route avec leur véhicule de fonction en dehors de leur temps de travail.

Elle concerne plus rarement la vie intime des salariés.

L’affaire historique d’un sacristain homosexuel licencié par une institution religieuse en raison de son orientation sexuelle

Une affaire emblématique a eu un premier retentissement important en droit du travail.

Un aide-sacristain était salarié de l’association gérant la paroisse de Saint Nicolas du Chardonnet, peu réputée pour sa tolérance à l’égard des mœurs de ses contemporains.

Or, cet employeur avait appris par une indiscrétion que l’aide-sacristain était homosexuel.

Il avait été aussitôt licencié, l’employeur affirmant qu’étant homosexuel, il ne pouvait être maintenu dans ses fonctions en raison de ses mœurs contraires aux principes de l’Église catholique (nous étions en 1987…).

L’intéressé avait contesté son licenciement.Obligation de loyauté du salarié d'informer l'employeur

Après avoir été débouté en appel, il avait obtenu satisfaction devant la Cour de cassation, qui avait prononcé la nullité de son licenciement (Cass. Soc. 17 avril 1991 n° 90-42636).

Elle avait ainsi relevé, d’une part, qu’en vertu du principe de non-discrimination, il est interdit à l’employeur de congédier un salarié pour le seul motif tiré de ses mœurs ou de ses convictions religieuses.

D’autre part, il était reproché à la Cour d’appel de s’être bornée à mettre en cause les mœurs du salarié sans avoir constaté d’agissements de ce dernier ayant créé un trouble caractérisé au sein de l’association.

Elle posait ainsi les bases de sa jurisprudence sur les interférences possibles entre vie personnelle et vie professionnelle des salariés.

Pour sanctionner un salarié en raison de faits tirés de sa vie privée, encore fallait-il que l’employeur établisse que son comportement ait créé un « trouble caractérisé au sein de l’entreprise ».

Salarié ayant exercé des violences sur son ancienne compagne qui travaillait dans la même entreprise

L’entreprise peut également se transformer en lieu délétère lorsque deux salariés travaillant dans la même société ont eu une relation personnelle qui s’est mal terminée et qu’ils se côtoient quotidiennement sur leur lieu de travail.

Ainsi, une altercation violente s’était produite entre un salarié et son ancienne concubine en dehors du lieu de travail et pour un motif étranger au travail.

L’auteur de cette agression avait alors été arrêté sur le lieu de travail et avait fait l’objet d’une condamnation pénale.

Il avait été licencié pour cause réelle et sérieuse en raison des faits de violence qui lui étaient reprochés sur sa concubine.

Il avait saisi la juridiction prud’homale, soutenant que son licenciement est injustifié car ces faits relevaient de sa vie privée, quand bien même la victime serait également salariée de l’entreprise.

L’argument est rejeté et le licenciement confirmé.

La Cour de cassation rappelle que si, en principe, il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié, il en va autrement lorsque le comportement de celui-ci a créé un trouble caractérisé à l’entreprise.

Or, le comportement du salarié à l’égard de sa concubine, également salariée de l’entreprise, avait entraîné son arrestation sur le lieu du travail, et l’employeur pouvant craindre la survenance de nouveaux incidents, ce comportement avait entraîné pour l’entreprise un trouble objectif caractérisé justifiant son licenciement (Cass. Soc. 9 juill. 2002 n° 00-45068).

La liaison cachée entre un DRH et une déléguée syndicale, et licenciement du premier en raison de son manquement à l’obligation de loyauté

Dans une dernière affaire, un employeur reprochait à un salarié exerçant des fonctions de direction chargé en particulier de la gestion des ressources humaines (DRH) de lui avoir caché la relation amoureuse qu’il entretenait depuis 5 ans avec une salariée, déléguée syndicale et membre du CSE.

Au cours de leur relation, ils avaient été mis en présence dans diverses situations conflictuelles.

La salariée ayant notamment participé à des mouvements de grève et d’occupation d’un des établissements, ainsi qu’à des réunions portant sur la mise en œuvre de plans sociaux.

Après qu’elle ait quitté l’entreprise, le salarié avait été licencié pour faute grave, l’employeur lui faisant grief d’avoir été en situation de conflit d’intérêts et commis un acte de déloyauté consistant à ne l’avoir pas informé de sa relation avec la salariée, jusqu’à son départ de l’entreprise,

L’action en contestation de son licenciement par le salarié est rejetée.

La Chambre sociale de la Cour de cassation réaffirme à cette occasion qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

Elle retient ensuite « qu’en dissimulant cette relation intime, qui était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, le salarié avait ainsi manqué à son obligation de loyauté à laquelle il était tenu envers son employeur et que ce manquement rendait impossible son maintien dans l’entreprise » (Cass. Soc. 29 mai 2024 n° 22-16218).

Où quand les obligations professionnelles ne font pas forcément bon ménage avec la vie amoureuse…