Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Le licenciement pour motif personnel, quelle qu’en soit la cause (insuffisance professionnelle, faute…), est souvent vécu comme une injustice par le salarié qui en est l’objet et laisse une meurtrissure morale qui du mal à s’effacer.
A plus forte raison lorsque l’employeur invoque une faute grave, qui saisit brutalement le salarié et entraine son départ immédiat de l’entreprise sans qu’il ait le temps de se retourner et d’échanger un dernier mot avec ses collègues et ses clients.
La situation est plus éprouvante encore lorsque l’employeur prend un malin plaisir à se répandre en propos calomnieux sur l’intéressé après qu’il l’ait licencié.
Le salarié qui souhaite obtenir réparation devant la juridiction prud’homale doit savoir que l’évolution législative et jurisprudentielle la plus récente vise, de manière particulièrement injuste, à le dissuader d’engager une action judiciaire.
Le « barème Macron » limite en effet le montant des dommages intérêts auxquels il peut prétendre, et la Chambre sociale de la Cour de cassation exige avec intransigeance que le salarié justifie précisément, pièces à l’appui, de l’existence d’un préjudice qui sera apprécié souverainement, et souvent chichement, par les Juges au moment de l’indemniser (Cass. Soc. 13 avril 2016 n° 14-28293).
Pour autant, les règles gouvernant la matière civile posent un principe de réparation intégrale du préjudice nécessitant que le salarié soit indemnisé de tous les chefs de préjudice qu’il subit sans exclusion.
Il en résulte que lorsque les circonstances entourant le licenciement d’un salarié présentent un caractère vexatoire, il est fondé à obtenir des dommages intérêts distincts de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
De sorte que, quand le licenciement est jugé injustifié, les dommages intérêts en raison des circonstances vexatoires de la rupture s’ajoutent à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Mais le salarié peut également en bénéficier alors même que son licenciement est jugé légitime.
C’est ce que vient utilement de rappeler la Haute juridiction, en énonçant que « même lorsqu’il est justifié par une faute grave du salarié, le licenciement peut causer à celui-ci, en raison des circonstances vexatoires qui l’ont accompagné, un préjudice dont il est fondé à demander réparation » (Cass. Soc. 16 déc. 2020 n° 18-23966).
Dans cette affaire, le salarié avait été licencié pour faute grave, l’employeur lui reprochant d’une part, d’avoir prélevé pour son compte personnel des espèces, des marchandises et des matériels de la société, et d’autre part, d’avoir consommé régulièrement des stupéfiants sur son lieu de travail.
Après l’avoir congédié, l’employeur s’était répandu en public sur les motifs de son licenciement, en prétendant qu’il prenait de la drogue et qu’il était un voleur.
Le salarié avait contesté son licenciement, sans succès, la Cour d’appel ayant jugé que les faits étaient établis.
Sa demande de dommages intérêts pour licenciement vexatoire, en réparation du préjudice moral causé par les circonstances de la rupture, avait également été rejetée.
Cette décision est censurée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui distingue donc entre la cause du licenciement de l’intéressé, jugée justifiée, et le préjudice moral qu’il a subi du fait des circonstances vexatoires ayant entouré la rupture de son contrat de travail, qui méritait d’être indemnisé.
Cette position avait déjà été affirmée, les Hauts magistrats dissociant le bienfondé du licenciement, des circonstances brutales et vexatoires l’ayant accompagné.
Dans une précédente affaire en effet, la Cour régulatrice avait considéré que « le bien-fondé d’une demande de dommages-intérêts à raison des conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail est indépendant du bien-fondé de la rupture » (Cass. Soc. 10 juill. 2013 n° 12-19740).
On citera encore un arrêt dans lequel les circonstances vexatoires avaient été retenues en raison de la convocation du salarié à l’entretien préalable au licenciement par huissier dans un but humiliant, de sa mise en cause dans un accident du travail d’un collègue, ainsi que des propos humiliants et agressifs utilisés par l’employeur de nature à lui causer un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi (Cass. Soc. 21 mai 2014 n° 13-13808).
Nous ne pouvons conclure cette rubrique sans évoquer un jugement du Conseil de Prud’hommes de Paris du 7 juin 2016 (n° 15/08164), dans la célèbre affaire ayant opposé Jérôme Kerviel à la Société Générale.
Cette juridiction avait jugé que le licenciement du trader pour faute lourde était sans cause réelle et sérieuse, lui accordant plus de 300 000 € d’indemnité.
Elle lui avait en outre alloué la modique somme de 170 000 € en réparation de son préjudice moral lié aux circonstances vexatoires de son licenciement, en raison de la médiatisation accordée à l’affaire.
La Cour d’appel avait néanmoins, le 19 décembre 2018, eu une appréciation très différente, infirmant le jugement en toutes ses dispositions.
La Cour de Cassation n’a pas encore statué sur l’aspect sociale de l’affaire Kerviel …