Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Entretien d’évaluation, ce que dit le Code du travail
Le Code du travail ne comporte aucune disposition spécifique relative aux entretiens d’évaluation, cependant il contient deux articles qui servent habituellement de référence.
L’article L 1222-2 du Code du travail prévoit d’une part que :
Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier ses aptitudes professionnelles.
Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’évaluation de ses aptitudes.
L’article L 1222-3 précise que :
« Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard« , ce qui s’applique incontestablement aux entretiens d’évaluation.
Il ajoute que les résultats obtenus sont confidentiels. Les méthodes et techniques d’évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».
Les exigences qui s’imposent à l’entretien annuel d’évaluation
L’entretien annuel d’évaluation permet habituellement, dans le cadre d’un échange entre le salarié et son supérieur hiérarchique, de passer en revue l’activité du premier au cours de l’année écoulée, de vérifier si les objectifs qui lui ont été fixés ont été atteints, et de déterminer ceux de l’année à venir à l’aune des observations formulées par l’un et l’autre.
Cet entretien peut concourir en outre à l’avancement de carrière du salarié et au paiement d’un bonus ou d’une prime déterminée en fonction de l’atteinte de résultats.
La jurisprudence a défini quelques lignes directrices sur la méthode d’évaluation qui doit être appliquée par l’employeur.
C’est ainsi qu’il a été jugé que :
Les compétences doivent être appréciées sur la base de faits précis, objectifs, observables et mesurables et leur évaluation est formalisée à l’occasion de l’entretien annuel (Cass. soc. 13 avril 2023 n° 21-19925).
Dans une autre décision, il a été énoncé que :
Si l’employeur tient de son pouvoir de direction né du contrat de travail le droit d’évaluer le travail de ses salariés, la méthode d’évaluation des salariés qu’il retient doit reposer sur des critères précis, objectifs et pertinents au regard de la finalité poursuivie.
De sorte que les notions d’« optimisme », d’« honnêteté » et de « bon sens », utilisées sous les items « engagement » et « avec simplicité », dont la connotation moralisatrice rejaillissait sur la sphère personnelle des individus, apparaissaient comme trop vagues et imprécises pour établir un lien direct, suffisant et nécessaire avec l’activité des salariés en vue de l’appréciation de leurs compétences au travail (Cass. soc. 15 oct. 2025 n° 22-20716).
Entretien d’évaluation et obligation (de sécurité) de l’employeur
L’entretien d’évaluation peut être un moment de tension et de stress pour le salarié, qui l’appréhende comme une épreuve.
A cet égard, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que :
« Les évaluations annuelles doivent permettre une meilleure cohérence entre les décisions salariales et l’accomplissement des objectifs, elles peuvent avoir une incidence sur le comportement des salariés, leur évolution de carrière et leur rémunération ; les modalités et les enjeux de l’entretien étaient manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail » (Cass. soc 28 nov. 2007 n° 06-21964).
Les études de la DA
RES (direction de la recherche et des statistiques rattachée au ministère de l’emploi) constituent une mine d’informations en droit du travail et un observatoire riche d’enseignements sur les conditions de travail des salariés.
Dans sa livraison du mois de janvier 2015, intitulée « pilotage du travail et risques psychosociaux », une étude traite en particulier du stress au travail résultant d’une inadéquation entre les objectifs fixés au salarié et les moyens mis à sa disposition par l’employeur.
Basée sur une analyse datant de l’année 2010, cette étude révèle que 56 % des salariés avaient au moins un entretien annuel d’évaluation avec leur responsable hiérarchique.
Ces entretiens annuels d’évaluation permettent habituellement de passer en revue l’activité du salarié au cours de l’année écoulée, de vérifier si les objectifs qui lui ont été fixés ont été atteints, et de déterminer ceux de l’année à venir à l’aune des observations formulées par le salarié et son responsable hiérarchique.
Cet entretien concourt en outre à l’avancement de carrière du salarié.
L’étude de la DARES nous enseigne que sur l’ensemble des salariés :
- un tiers d’entre eux n’a ni entretien d’évaluation, ni objectifs chiffrés ; il s’agit notamment des salariés travaillant dans de petits établissements (moins de 10 salariés), ainsi que les salariés sous contrat temporaire (CDD, intérim) et les salariés des professions les moins qualifiées (ouvriers, employés de commerce et de services).
- 21 % des salariés bénéficient d’un entretien individuel d’évaluation appuyé sur des critères précis et mesurables, mais n’ont pas d’objectifs chiffrés précis à atteindre.
- 10 % des salariés sont reçus au moins une fois par an par leur supérieur pour un entretien d’évaluation, mais sans critères précis ni objectifs chiffrés.
- 22 % des salariés ont un entretien reposant sur des critères précis et mesurables, associés à des objectifs chiffrés.
- Enfin, 13 % des salariés ont des objectifs chiffrés mais pas d’entretien individuel d’évaluation, ou bien un entretien ne reposant pas sur des critères précis et mesurables.
Effets spécifiques attribués aux salariés ayant des objectifs chiffrés :
L’étude constate que les salariés qui ont des objectifs chiffrés à atteindre sont les plus nombreux à déclarer devoir toujours ou souvent se dépêcher pour faire leur travail, qu’ils aient ou non un entretien individuel d’évaluation.
Parmi eux, 44 % disent qu’on leur demande d’effectuer une quantité de travail excessive, et ce sont également les plus nombreux à juger ne pas avoir le temps nécessaire pour effectuer correctement leur travail.
Les objectifs chiffrés pe
uvent accroitre le sentiment de pression au travail, mais également constituer le reflet d’un contexte d’entreprises soumises à une concurrence sévère ou à des exigences importantes de rentabilité et de productivité.
L’étude démontre que les objectifs chiffrés demeurent en outre associés à une plus forte intensité du travail.
Les salariés qui y sont assujettis évoquent également de moindres possibilités de développer leurs compétences professionnelles et ont globalement une plus faible latitude décisionnelle.
De ce fait, la probabilité d‘être exposé à la tension au travail, c’est à dire à la combinaison d’une intensité du travail et d’une faible marge de manœuvre, est considérablement accrue pour les salariés ayant des objectifs chiffrés.
Les objectifs chiffrés sont associés à une moins bonne santé perçue et à plus de limitation d’activité, particulièrement lorsque les salariés ne bénéficient pas d’entretiens reposant sur des critères précis et mesurables.
Un lien entre pression liée aux objectifs et santé mentale
Il importe de relever que plus de 40 % des salariés signalent ne pas avoir, à un titre ou à un autre, les moyens suffisants pour effectuer correctement leur travail.
Cette étude indique que lorsque les entretiens individuels d’évaluation reposent sur des critères précis et mesurables, ils apparaissent comme protecteurs vis à vis de l’exposition à leurs facteurs psycho-sociaux de risque, alors qu’au contraire les objectifs chiffrés sont associés à un surcroit de risque.
Elle révèle enfin qu’il existe une corrélation négative entre objectifs et santé mentale, mais que les entretiens menés rigoureusement jouent un rôle modérateur ; la situation où le salarié bénéfice d’un entretien reposant sur des critères précis et mesurables, mais n’a pas d’objectifs chiffrés est la plus favorable, puisque le risque de symptôme d’anxiété ou de dépression est réduit de 12 %.
De sorte que cet entretien ne doit pas se transformer en épreuve traumatisante pour le salarié.
En conclusion, on rappellera que si les entretiens d’évaluation constituent un exercice obligé dans de nombreuses entreprises afin d’apprécier le travail fourni par le salarié et de recueillir ses observations, l’employeur n’en est pas moins tenu à une obligation de sécurité.
Il doit donc veiller à ce que les exigences relatives à la prévention des risques professionnels soient bien respectées.


