Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Une protection du secret professionnel érigée dans l’intérêt des patients et non des salariés

Un salarié professionnel de santé, licencié pour faute grave, peut-il opposer à son employeur la violation du secret professionnel que celui-ci aurait commise pour voir juger son licenciement injustifié ?

Telle est la question assez inédite, mais dont la réponse peut avoir une résonnance particulière dans le contexte actuel, à laquelle la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de répondre.

Une infirmière coordinatrice est salariée d’un EPHAD, son emploi comportant une énumération de tâches annexées à son contrat de travail.

Après le décès d’une résidente de l’établissement, elle est licenciée pour faute grave, l’employeur lui imputant en partie ce décès en raison d’un défaut de surveillance et de prise en charge par les équipes soignantes qui étaient placées sous la responsabilité, conformément aux prévisions de son contrat de travail.

La lettre de licenciement procède à une énumération détaillée des reproches faits à l’intéressée et comprend notamment le nom ainsi que des éléments provenant des dossiers médicaux de plusieurs résidents.

La salariée réfute les affirmations de l’employeur et porte l’affaire en justice, contestant son licenciement.

La Cour d’appel d’Aix en Provence (Chambre 4-2, 26 juin 2020, n° 17/19578) donne raison à l’employeur et valide le licenciement pour faute grave, considérant que la salariée avait commis des manquements qui rendaient impossible son maintien dans l’entreprise.

Elle forme alors un pourvoi en cassation et y développe une argumentation audacieuse en soutenant que son licenciement était fondé sur une violation par l’employeur du principe fondamental du secret médical, qui priverait nécessairement son congédiement de cause réelle et sérieuse.

Le Code de la santé publique pose en effet que toute personne prise en charge par un professionnel de santé et un établissement de santé a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant, qui couvre l’ensemble des informations venues à la connaissance du professionnel et de tout membre du personnel de ces établissements (article L 1110-4 du Code de la santé publique).Licenciement salarié

Il précise en outre que le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin (article R 4127-4 du Code de la santé publique).

La salariée fonde son argumentation sur les multiples références aux dossiers médicaux de plusieurs résidents dont l’anonymat n’était pas parfaitement assuré.

Peine perdue, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme la décision, énonce que le secret professionnel est institué dans l’intérêt des patients et qu’il s’agit d’un droit propre au patient instauré dans le but de protéger sa vie privée et le secret des informations le concernant.

Un salarié professionnel de santé, participant à la transmission de données couvertes par le secret, ne peut donc se prévaloir, à l’égard de son employeur, d’une violation du secret médical pour contester le licenciement fondé sur des manquements à ses obligations ayant des conséquences sur la santé des patients (Cass. Soc. 15 juin 2022 n° 20-21090).

En d’autres termes, le secret professionnel est instauré dans l’intérêt des seuls patients et non dans celui des salariés, professionnels de santé !

Une protection du secret professionnel à géométrie variable ?

On ne peut toutefois s’empêcher de rapprocher cet arrêt d’une autre décision plus ancienne, dans laquelle la protection du secret professionnel semblait très haut placée, la Haute juridiction paraissant se montrer plus sourcilleuse de préserver l’anonymat des patients.

En l’espèce, le salarié exerçait les fonctions de kinésithérapeute dans un centre hospitalier.

Il était en litige avec un chirurgien et avait produit devant l’ordre des médecins, dont les membres étaient tenus au secret professionnel, un dossier médical anonyme afin de démontrer que ce chirurgien ne lui transmettait pas de comptes rendus opératoires nécessaires pour dispenser les soins de rééducation appropriés aux patients, ce qui l’empêchait d’exercer sa profession.

licenciement faits de la vie privéeCette divulgation avait entre autres valu au kinésithérapeute un licenciement pour faute grave, au motif de l’atteinte ainsi portée au secret professionnel.

La Cour de cassation avait approuvé le licenciement du salarié pour faute grave, considérant qu’il avait communiqué au conseil de l’ordre des médecins, dans le seul but de faire valoir sa position sans égard à l’intérêt de la patiente en faveur de laquelle la règle du secret est édictée, un tirage papier du dossier médical informatique d’une personne dont la suppression du nom ne garantissait pas un parfait anonymat, la cour d’appel avait donc légitimement pu retenir une violation du secret médical en ce que le salarié avait, en dehors des cas autorisés par l’article L 1110-4 du code de la santé publique porté atteinte au secret d’informations concernant une personne pouvant être identifiée, en ayant agi dans un but étranger à la continuité des soins ou à la détermination de la meilleure prise en charge sanitaire possible (Cass. Soc. 1er déc. 2015 n° 14-22133).

Mais on pourrait évidemment objecter que les circonstances étaient différentes, dans la première affaire, la violation du secret professionnel étant reprochée à l’employeur et non au salarié…

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