Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris
Un hôpital catholique peut-il licencier un médecin-chef en raison de son remariage après avoir divorcé ?
La question, qui concernait une entreprise allemande, était posée à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), appelée à se prononcer par le biais d’une question préjudicielle sur la licéité d’une telle décision au regard de la directive n° 2000/78/CE sur l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
Un médecin chef, de confession catholique, travaillait pour une entreprise soumise au contrôle de l’archevêque catholique de Cologne (en Allemagne).
Après avoir divorcé de sa première épouse, avec laquelle il était marié religieusement, le salarié s’était remarié civilement avec une autre femme, sans que son premier mariage ait été annulé (religieusement).
L’employeur l’apprenant avait licencié le médecin pour ce motif, considérant qu’en concluant un mariage invalide selon le droit canonique, pour lequel le mariage religieux revêt un caractère « sacré et indissoluble », il avait gravement méconnu l’obligation de loyauté découlant de son contrat de travail.
Le salarié avait contesté son licenciement, soutenant que celui-ci violait le principe d’égalité de traitement, car le remariage d’un chef de service d’une autre confession n’aurait pas eu les mêmes conséquences sur la relation de travail.
La Cour Fédérale allemande interrogeait donc la CJUE sur l’interprétation de la directive, qui interdit la discrimination d’un salarié en raison de sa religion ou de ses convictions.
La Haute juridiction européenne répond qu’il incombe au juge national saisi du litige « de s’assurer qu’au regard de la nature des activités professionnelles concernées ou du contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique en question ».
Au cas particulier, elle juge que l’adhésion à la conception du mariage prônée par l’Église catholique ne semble pas être une condition essentielle de l’activité professionnelle en raison de l’importance des activités professionnelles exercées par le salarié, à savoir la fourniture, dans le milieu hospitalier, de conseils et de soins médicaux ainsi que la gestion du service de médecine interne dont il était le chef (CJUE, affaire n° C-68/17 du 11 septembre 2018).
Il appartiendra donc au Juge allemand d’en tirer les conséquences, en jugeant manifestement que le licenciement du salarié est injustifié.
La CJUE met en outre en exergue que « l’interdiction de toute discrimination fondée sur la religion ou les convictions revêt un caractère impératif en tant que principe général du droit de l’Union désormais consacré dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et confère aux particuliers un droit invocable en tant que tel dans un litige qui les oppose dans un domaine couvert par le droit de l’Union ».
Cette affaire résonne en écho avec une autre qui avait marqué notre droit du travail à quarante ans d’intervalle.
Dans un contexte différent, les faits présentaient néanmoins une certaine similitude.
Une institutrice qui travaillait dans un établissement d’enseignement catholique avait été licenciée pour un motif identique, l’employeur lui reprochant de s’être remariée après avoir divorcé.
La plus Haute formation de la Cour de cassation, l’Assemblée Plénière, avait alors jugé « qu’il ne peut être porté atteinte sans abus à la liberté de mariage par un employeur que dans des cas très exceptionnels ou les nécessités des fonctions l’exigent impérieusement »… pour en conclure que l’employeur, le cours Sainte-Marthe, « attaché au principe de l’indissolubilité du mariage, avait agi en vue de sauvegarder la bonne marche de son entreprise, en lui conservant son caractère propre et sa réputation » et partant, n’avait commis aucune faute en licenciant la salariée (C.Cass. Ass. Plén. 19 mai 1978 n° 76-41211).
Cette décision reflète une conception d’une autre époque où domine une approche conservatrice des Hauts magistrats, une telle solution ne devrait cependant pas prospérer aujourd’hui, grâce notamment à l’influence, salutaire bien que décriée, du droit européen.
Il convient en outre de préciser que la jurisprudence de la Chambre sociale, en son dernier état, considère qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Cass. soc. 3 mai 2011 n° 09-67464).