Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
La diffusion d’informations pas tout à fait exactes
Dans un environnement où la communication a pris une place prépondérante, et où le faire savoir est devenu plus important que le savoir-faire, les informations diffusées dans la presse et par le gouvernement relatives à la réforme du droit du travail, entretiennent une confusion qui n’aide pas à la clarté du débat.
Le Premier ministre a annoncé le 14 mars 2016 les modifications que contiendrait ce projet de loi.
On retiendra notamment que le barème des indemnités allouées au salarié par le Conseil de Prud’hommes en cas de licenciement injustifié, n’aura que valeur indicative, de sorte que le Juge conservera sa faculté d’appréciation.
On se félicite de cette décision, car nous avions déjà exposé la réticence que nous inspirait ce barème.
Cette mesure, qui avait pris valeur symbolique, sans être tout à fait reléguée aux oubliettes, en prend doucement le chemin…
Elle ira rejoindre dans les abîmes le barème fixé lors de l’audience de conciliation (article D 1235-21 du Code du travail), qui sert de « référentiel indicatif », d’après les termes de cet article, et qui à de rares exceptions près, est très peu appliqué.
Mais nous avons découvert avec stupéfaction la communication gouvernementale particulièrement tendancieuse diffusée sur le site du Premier ministre.
Au mépris de la réalité, le barème des indemnités prud’homales y est présenté, au titre de ses effets attendus, comme « plus juste et plus favorable à l’emploi », notamment en ce qu’il serait (nous citons) :
- un outil de lutte contre les contrats précaires : l’absence de visibilité de l’employeur sur le coût du licenciement en cas de contentieux devant les prud’hommes l’incite à recourir prioritairement au CDD. Le barème indicatif lui permet d’apprécier le risque financier lié à la rupture du contrat et l’incite dès lors à préférer le CDI au CDD.
- plus juste pour le salarié car il favorise l’égalité de traitement des salariés, quel que soit le juge devant lequel ils se retrouvent, et quel que soit leur niveau de salaire (aujourd’hui, plus les salaires sont élevés, plus les indemnités accordées par les prud’hommes sont élevées).
Quelques réponses à apporter
Ces allégations nous paraissent choquantes à double titre.
D’une part, elles sont inexactes, d’autre part, elles prennent pour argent comptant les thèses développées par les organisations patronales, sans procéder à la moindre vérification.
Nous croyons donc utile de faire les quelques observations suivantes, qui démentent ces affirmations :
Premièrement : L’absence de visibilité de l’employeur sur le coût du licenciement en cas de contentieux devant les prud’hommes l’inciterait à recourir prioritairement au CDD. Le barème indicatif lui permettrait d’apprécier le risque financier lié à la rupture du contrat et l’inciterait dès lors à préférer le CDI au CDD.
Le Premier ministre soutient ainsi que c’est le coût des dommages intérêts auxquels l’employeur s’expose qui l’inciterait à avoir recours prioritairement au contrat à durée déterminée.
C’est faire peu de cas d’un principe mis en exergue par le Code du travail, qui prévoit que le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail (article L 1221-2 du Code du travail).
De sorte que les cas de recours au contrat à durée déterminée sont strictement limités à ceux énoncés par la loi, à savoir (article L 1242-2 du Code du travail) :
- remplacement d’un salarié,
- accroissement temporaire d’activité de l’entreprise,
- emplois à caractère saisonnier,
- remplacement d’un chef d’entreprise ou d’une personne exerçant une profession libérale,
- Remplacement du chef d’une exploitation agricole,
- Recrutement d’ingénieurs et de cadres, en vue de la réalisation d’un objet défini.
Lorsqu’un contrat de travail est conclu en méconnaissance des dispositions, il est réputé être à durée indéterminée (article L 1245-1 du Code du travail).
Il est donc faux de prétendre que le recours prioritaire au contrat à durée déterminée serait justifié par « l’absence de visibilité de l’employeur sur le coût du licenciement en cas de contentieux devant les prud’hommes », sauf à encourager une violation de la loi.
Au contraire, l’utilisation qu’il aurait de ce type de contrat, en méconnaissance des cas de recours, peut valoir à l’employeur défaillant une action judiciaire du salarié à fin de demande de requalification du contrat de travail (article L 1245-2 du Code du travail).
Tout aussi vain est le second argument avancé par le Premier ministre.
Deuxièmement : Le barème serait plus juste pour le salarié car il favoriserait l’égalité de traitement des salariés, quel que soit le juge devant lequel ils se retrouvent, et quel que soit leur niveau de salaire (aujourd’hui, plus les salaires sont élevés, plus les indemnités accordées par les prud’hommes sont élevées).
Il révèle, une fois encore, une ignorance de la loi.
En effet, donner à croire que le nouveau barème des indemnités allouées par le Juge prud’homal participera de l’égalité de traitement entre salariés, quelque soit leur niveau de rémunération, est une présentation fallacieuse.
Le montant des dommages intérêts, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, est actuellement fixé en considération de la rémunération mensuelle brute de l’intéressé.
Ainsi, lorsque le salarié travaille dans une entreprise employant au moins 11 salariés, et qu’il a plus de deux ans d’ancienneté, l’indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois (article L 1235-3 du Code du travail).
Il va de soi, en conséquence, que plus la rémunération d’un salarié est élevée, plus le montant des dommages intérêts dont il bénéficiera le sera également, cela procède de l’application du coefficient multiplicateur.
Le « nouveau » barème n’y changera rien, car il n’est pas déterminé en numéraire, mais en nombre de mois de salaire !
Ainsi, par exemple, un salarié ayant une ancienneté comprise entre 5 et 10 ans d’ancienneté dans l’entreprise, pourra obtenir 9 mois de salaire maximum, sans qu’ aucun plafond en euros ne soit établi.
On déplore donc vivement la stratégie consistant à opposer les salariés bien payés à ceux qui le sont moins, qui relève de l’imposture.
En outre, un employeur qui a licencié un salarié dans des conditions susceptibles de lui faire encourir une condamnation prud’homale, pourra parfaitement évaluer son risque judiciaire en interrogeant son avocat.
La pratique des juridictions permet, avec un peu d’expérience, d’apprécier peu ou prou l’enjeu du litige.
Il est regrettable qu’à la pédagogie et à l’objectivité qui auraient dû prévaloir, soit substitué un texte spécieux qui relaie à la lettre le message véhiculé par les organisations représentatives d’employeurs sans le nuancer.