Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Dénonciation de harcèlement moral et protection contre le licenciement

La Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence salutaire, en revenant sur son exigence excessive consistant à n’accorder une protection contre le licenciement au salarié dénonçant à son employeur le harcèlement moral qu’il subit, que sous réserve qu’il ait employé précisément le qualificatif de harcèlement moral.

La Haute Juridiction a tout d’abord considéré qu’un salarié qui dénonçait le harcèlement moral dont il était victime devait être protégé contre les éventuelles mesures de rétorsion de l’employeur.

En conséquence, elle énonce que le licenciement du salarié qui relate de bonne foi le harcèlement moral qu’il subit est nul.

Cette solution, d’origine prétorienne, est désormais consacrée par la loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte (article L 1152-2 du Code du travail).

Seul le salarié qui agit de mauvaise foi n’est pas couvert par cette protection et s’expose à un licenciement, lequel sera souvent fondé sur une faute grave.

La notion de mauvaise foi étant ici interprétée comme la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce (Cass. Soc.10 juin 2015 n° 13-25554).

Seule la qualification de harcèlement moral dans la lettre de dénonciation assurait au salarié une protection

Mais jusqu’à présent, par une exégèse très rigoureuse qu’on a parfois du mal à comprendre, seuls les salariés qui qualifiaient expressément les faits subis de harcèlement moral étaient assurés de voir juger nul le licenciement motivé par cette dénonciation.

En d’autres termes, le salarié qui prenait le risque de s’exposer, en écrivant à son employeur qu’il était victime d’agissements de son supérieur hiérarchique (qu’il décrivait minutieusement), ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail, l’affectant au point qu’il se trouvait dans l’incapacité de continuer à travailler et était placé en arrêt maladie, n’était pas protégé en cas de licenciement… faute d’avoir nommé ces faits de harcèlement moral.Il n'est plus nécessaire de viser la qualification de harcèlement moral dans la lettre de dénonciation envoyée à l'employeur

Si l’employeur était obligé de remédier de manière effective à cette situation, une réaction plus radicale n’était jamais à exclure.

Le licenciement qui suivait cette dénonciation, après que l’employeur en ait pris ombrage, ne pouvait être jugé nul, faut pour l’intéressé de ne pas être suffisamment informé sur ses droits…

Dans le meilleur des cas, s’il était invalidé, il était jugé sans cause réelle et sérieuse.

Le salarié devait donc avoir une connaissance approfondie du Code du travail et de la jurisprudence pour espérer être à l’abri d’un coup du sort.

Autant dire qu’il était préférable qu’il ait pris conseil avant de rédiger sa lettre…

C’est sur cette situation profondément injuste que revient la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Les faits de l’affaire

Une salariée travaillant en qualité de psychologue pour une association est licenciée pour faute grave, l’employeur lui reprochant l’envoi d’une lettre de dénonciation au conseil d’administration.

La lettre de licenciement était motivée par le fait que la salariée avait « gravement mis en cause l’attitude et les décisions prises par le directeur tant à son égard que s’agissant du fonctionnement de la structure… et d’avoir porté des attaques graves à l’encontre du comportement et du travail de plusieurs de ses collègues et de la gouvernance de l’Association ».

L’intéressée conteste son licenciement devant la juridiction prud’homale, et la Cour d’appel fait preuve d’audace en jugeant son licenciement nul, à rebours de la position habituelle de la Chambre sociale de la Cour de cassation.

Elle retient que la description des faits par la salariée, qui révélaient une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, illustrations à l’appui, constituait une dénonciation du harcèlement moral qu’elle subissait.

En dépit de l’absence de qualification de harcèlement moral, les Juges d’appels considèrent que c’est bien de cela dont il s’agit, conformément à la définition qu’en donne le Code du travail.

Ils en tirent pour conséquence que le licenciement de l’intéressée est nul.

Cette décision est, heureusement, approuvée par la Cour de cassation, qui revient donc sur sa position antérieure.

Revirement de la Chambre sociale de la Cour de cassation

Dans un long développement mêlant la nullité de la rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions relatives à la relation du harcèlement moral à la liberté d’expression dont jouit le salarié dans et en dehors de l’entreprise, la Chambre sociale de la Cour de cassation procède à un toilettage de sa jurisprudence.

Elle affirme désormais qu’il y a lieu de juger que « le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce » (Cass. Soc. 19 avril 2023 n° 21-21053).

Cet arrêt, rendu en formation plénière de Chambre, est destiné à une large publicité, révélant l’importance que lui accordent les Hauts Magistrats.

On ne peut que se féliciter de cette nouvelle approche d’un sujet sensible, pour lequel la position pointilliste adoptée initialement soulevait plus d’incompréhension qu’autre chose.

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