Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Contrairement à une idée répandue, l’employeur peut licencier un salarié pour un fait isolé sans lui avoir préalablement adressé un avertissement ou une mise en garde

Si la soudaineté, et parfois la brutalité, de la décision peut surprendre, notamment lorsque le salarié dispose d’une ancienneté importante dans l’entreprise, la jurisprudence est néanmoins établie sur ce point.

Elle énonce avec constance que « la commission d’un fait fautif isolé peut justifier un licenciement, sans qu’il soit nécessaire qu’il ait donné lieu à un avertissement préalable » (Cass. Soc. 1er juill. 2008 n° 07-40053).

Les faits reprochés doivent en toute hypothèse présenter un caractère réel et sérieux, voire en cas de licenciement pour faute grave, être d’une importance telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

Il appartient à cet égard aux Juges du fond d’apprécier si les manquements invoqués par l’employeur répondent à ces exigences et sont de nature à justifier le licenciement.

Voici deux illustrations qui reflètent l’état de la jurisprudence récente de la chambre sociale de la Cour de cassation :licenciement d'un salarié âgé

Une comptable ayant trois ans d’ancienneté avait été licenciée pour cause réelle et sérieuse, l’employeur lui reprochant dans une lettre de licenciement très détaillée des manquements répétés à son contrat de travail ainsi qu’un comportement inapproprié envers ses collègues, son responsable et les entreprises du groupe pour lesquelles elle intervenait.

La salariée, qui était tombée des nus, avait contesté son licenciement.

Elle faisait valoir qu’elle n’avait fait l’objet d’aucun avertissement, et que l’employeur n’avait jamais attiré son attention sur les conséquences pouvant résulter de son comportement.

Ces arguments, ajoutés au fait qu’elle n’avait aucun passé disciplinaire, avaient convaincu la Cour d’appel, qui avait considéré que le licenciement était disproportionné et qu’il était dénué de cause réelle et sérieuse.

La décision est censurée par la Cour de cassation, au motif que la seule absence d’avertissement ou de mise en garde préalables adressés à la salariée, sans que les Juges du fond aient apprécié la réalité et la gravité des griefs invoqués par l’employeur, ne permettait pas de juger que le licenciement était injustifié (Cass. Soc. 10 juillet 2019 n° 18-13893).

Une jurisprudence très stricte, mais malheureusement constante

Dans une seconde affaire, un chauffeur-livreur, ayant également trois ans d’ancienneté, avait fait l’objet d’un contrôle routier pendant son temps de travail à l’issue duquel son permis de conduire avait été suspendu pour une durée de 72 heures en raison de l’usage de son téléphone au volant et de la conduite d’un véhicule sous l’emprise de produits stupéfiants.

L’employeur l’avait aussitôt mis à pied à titre conservatoire puis licencié quelques jours plus tard pour faute grave, lui reprochant la commission de ces faits, non seulement punis par la loi, mais aussi interdits par le règlement intérieur de l’entreprise.

Cependant, le Tribunal correctionnel, devant lequel il avait été cité, l’avait relaxé des faits de conduite de véhicule en ayant fait usage de cannabis.

Restait donc uniquement l’utilisation du téléphone portable en conduisant.

Le salarié demandait à la juridiction prud’homale de juger que son licenciement était injustifié, soutenant que cet unique grief était disproportionné alors qu’il n’avait jamais été sanctionné préalablement.

La Cour d’appel l’avait là encore suivi, jugeant que le seul grief établi à l’encontre du salarié était insuffisant pour constituer une faute.

Nouvelle désapprobation de la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui rappelle que la commission d’un fait isolé peut justifier un licenciement sans qu’il soit nécessaire qu’il ait donné lieu à sanction préalable, et reproche aux Juges d’appel de ne pas avoir apprécié la gravité de la faute invoquée (Cass. Soc. 24 janv. 2018 n° 16-14386).

Nonobstant l’absence d’alerte préalable au licenciement, la gravité des faits reprochés peut donc justifier la rupture du contrat de travail.

Il n’en demeure pas moins qu’il appartient au juge du fond d’apprécier si les faits litigieux présentent véritablement un caractère réel et sérieux.

Seule échappatoire : lorsque la convention collective exige qu’avant d’être licencié, le salarié ait fait l’objet d’une sanction au préalable

C’est notamment le cas, par exemple, de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, dont l’article 33 précise que, sauf en cas de faute grave, il ne pourra y avoir de mesure de licenciement à l’égard d’un salarié si ce dernier n’a pas fait l’objet précédemment d’au moins deux sanctions (observation, avertissement, mise à pied), prises dans le cadre de la procédure légale.

Dans ce cas, le licenciement d’un salarié pris en méconnaissance de cette exigence est sans cause réelle et sérieuse (voir notamment, Cass. soc. 2 déc. 2020 n° 19-19352)

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