Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Le préjudice d’anxiété sort enfin de l’ornière dans laquelle la Chambre sociale de la Cour de cassation l’avait confiné pour s’appliquer à d’autres domaines que celui de l’amiante.
Il aura fallu beaucoup de patience aux salariés qui souffrent de ce mal avant que cette évolution se fasse, la justice avançant ici, comme souvent, à son train de sénateur.
La chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu en 2010 l’existence d’un préjudice spécifique d’anxiété, exclusivement, « aux salariés qui se trouvaient par le fait de l’employeur dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante et étaient amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse » (Cass. Soc. 11 mai 2010 n° 09-42241).
Cette reconnaissance était donc limitée aux anciens salariés ayant travaillé dans des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, bénéficiaire d’une allocation (l’ACAATA) créée par un dispositif destiné à compenser la perte d’espérance de vie qu’ils pouvaient connaitre en raison de leur exposition à l’amiante (article 41 de la loi n° n° 98-1194 du 23 décembre 1998).
Encore faut-il préciser que seuls les anciens salariés ayant travaillé dans une des entreprises qui figurait sur une liste établie par un arrêté ministériel, pouvait prétendre à la reconnaissance de leur préjudice d’anxiété, pour les autres, la voie était solidement fermée (Cass. Soc. 26 avril 2017 n° 15-19037).
Cette solution très restrictive était injuste, et manifestement sous le poids du nombre des procédures engagées par les salariés, une première avancée a eu lieu dans un arrêt d’Assemblée Plénière admettant enfin, qu’en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 (Ass. Plén. 5 avril 2019 n° 18-17442).
L’obligation de sécurité impose à l’employeur, on s’en souvient, de prévenir et de prendre soin de la santé et de la sécurité des salariés (articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail).
Si l’action n’était plus exclusivement réservée aux salariés ayant travaillé dans une entreprise mentionnée dans la liste, cette procédure restait toujours circonscrite aux salariés exposés à l’amiante.
L’obligation de sécurité est parvenue à vaincre les dernières résistances, car c’est sur son fondement que la Chambre sociale de la Cour de cassation vient enfin d’énoncer que le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité (Cass. Soc. 11 sept. 2019 n° 17-24879).
L’affaire concernait d’anciens mineurs des Houillères de Lorraine qui demandaient réparation de leur préjudice d’anxiété, après avoir travaillé dans des conditions extrêmement pénibles, reprochant à leur employeur d’avoir négligé de mettre à leur disposition des masques et du matériel adaptés afin de les protéger de la poussière.
La Cour régulatrice rappelle qu’il appartient à l’employeur de démontrer qu’il avait effectivement mis en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ce qu’il ne pouvait faire en l’espèce.
Les salariés ayant été exposés à une substance nocive ou toxique risquant de développer une pathologie grave, et étant en mesure de l’établir, peuvent donc désormais engager la responsabilité de leur employeur s’il a méconnu ses obligations, au premier rang desquelles l’obligation de sécurité.