Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Caractéristiques de la faute grave

La faute grave est définie par la jurisprudence comme un fait, ou un ensemble de faits, imputable au salarié présentant un tel degré de gravité qu’il rend impossible son maintien dans l’entreprise, justifiant son éviction sans préavis (Cass. Soc., 27 septembre 2007 n° 06-43867).

Les illustrations les plus fréquentes sont : l’insubordination, les absences injustifiées, une altercation entre salariés, des insultes, un manquement à l’obligation de sécurité…

On observe cependant que de nombreux employeurs ne s’embarrassent pas de ces considérations et ont recours à la faute grave, bien que les faits ne le justifient pas, à seule fin de congédier le salarié très rapidement, le privant des indemnités auxquelles il aurait eu droit.

Au regard de sa gravité, la faute grave impose à l’employeur de réagir rapidement après qu’il ait eu connaissance des faits litigieux.preuve de la faute grave

Ce, d’autant plus que le code du travail fixe une limite dans le temps à tout licenciement pour motif disciplinaire (donc y compris pour faute simple), en précisant qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance (article L 1332-4 du Code du travail).

La Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé en conséquence que la mise en œuvre de la procédure de licenciement pour faute grave devait intervenir dans un délai restreint après que l’employeur a eu connaissance des faits allégués, dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire (Cass. Soc. 6 oct. 2010 n° 09-41294).

Elle a ainsi pu retenir que l’envoi de la convocation à l’entretien préalable un mois et demi après que l’employeur ait pris connaissance des faits fautifs était tardive, ce qui invalidait le licenciement.

Cette règle protectrice vient néanmoins de connaître un tempérament lorsque le contrat de travail du salarié est suspendu, ce qui concerne une grande diversité de situations (maladie, maternité, congés payés…).

Exception à l’obligation pour l’employeur d’agir dans un délai restreint : lorsque le contrat de travail est suspendu

Les faits de l’affaire, tels qu’invoqués par l’employeur, présentaient incontestablement un caractère de gravité.

Il reprochait à une salariée, employée depuis plus de trente ans dans son cabinet d’assurances, d’avoir fait modifier par une cliente, avec laquelle elle avait entretenu une relation amicale, la clause bénéficiaire de trois contrats d’assurance vie qu’elle avait souscrits, de sorte que les enfants de la salariée en soient désignés bénéficiaires, d’avoir acquis l’appartement de cette cliente en viager, et d’autres manquements du même ordre.

Ces faits s’étaient produits en 2012.

La salariée était en arrêt de travail depuis le 31 mai 2013.

L’employeur n’avait eu connaissance des faits que le 17 octobre 2014, après qu’il ait diligenté une enquête à la suite d’une visite de la cliente.mise a pied a titre conservatoire

La salariée avait alors été convoquée à un entretien préalable près d’un mois plus tard, par lettre du 14 novembre 2014, puis licenciée pour faute grave le 12 décembre 2014, étant précisé que les faits reprochés par l’employeur remontaient à 2011 et 2012.

Elle contestait son licenciement, estimant que l’employeur avait tardé à engager la procédure de licenciement et ne pouvait, en conséquence, plus invoquer la faute grave.

L’argument ne manquait en effet pas de pertinence compte tenu de l’état de la jurisprudence.

Il est cependant rejeté par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui affirme que « le fait pour l’employeur de laisser s’écouler un délai entre la révélation des faits et l’engagement de la procédure de licenciement ne peut avoir pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité, dès lors que le salarié, dont le contrat de travail est suspendu, est absent de l’entreprise » (Cass. Soc. 9 mars 2022 n° 20-20872).

En d’autres termes, le fait que l’employeur ait tardé à agir est relativisé par la circonstance que le contrat de travail de l’intéressée était suspendu par son arrêt maladie et que pendant la période de suspension, elle était absente de l’entreprise.

L’effet de la faute grave, qui consiste en l’impossibilité de maintenir le contrat de travail du salarié dans l’entreprise même pour la durée du préavis, n’est donc pas affecté dès lors que la salariée était absente de l’entreprise en raison de son arrêt de travail.

Reste, en tout état de cause, que l’employeur est tenu d’agir dans un délai de deux mois à compter du jour où il a eu connaissance des faits, conformément aux prévisions de l’article L 1332-4 du Code du travail.

convention de forfait joursNon-respect du forfait jours et manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité
abandon de posteDistinction entre licenciement pour motif disciplinaire et insuffisance professionnelle