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Dénonciation de mauvaise foi de faits de harcèlement moral

Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Le harcèlement moral a pris une place centrale dans le contentieux relatif aux litiges opposant un salarié à son employeur

Les langues se libèrent et les salariés qui en sont victimes n’hésitent plus à dénoncer une situation intolérable, même s’il leur faut s’armer de courage.

Ils savent désormais que d’autres ont subi cette épreuve et qu’ils l’ont portée avec succès devant les juridictions prud’homales, qui ne rechignent pas à prononcer des condamnations.

La Chambre sociale de la Cour de cassation a façonné sa jurisprudence au fil du temps, mettant notamment à la charge de l’employeur l’obligation d’agir en amont et de mettre en œuvre des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral (Cass. Soc. 1er juin 2016 n° 14-19702)

L’employeur, saisi par un salarié qui se plaint d’être victime de harcèlement moral, doit en outre agir immédiatement et de manière effective afin d’y mettre un terme, sous peine d’engager sa responsabilité.

La pratique des enquêtes pour vérifier les faits et en connaître toutes les circonstances s’est donc développée dans les entreprises lorsqu’un salarié, ou un de ses représentants, dénonce une situation de harcèlement moral.

L’employeur l’ayant manifestement intégrée dans les mesures à prendre, au risque parfois d’intimider le salarié harcelé qu’un tel dispositif dépasse, voire indispose.

Elle constitue a minima sa réponse au procès en manquement à l’obligation de sécurité qui pourrait lui être fait (Cass. Soc. 27 nov. 2019 n° 18-10551).

Cela étant, le salarié qui dénonce le harcèlement moral qu’il subit s’expose possiblement aux représailles d’un employeur qui supporterait mal cet accroc à son omnipotence, et plus encore si l’enquête qu’il a diligentée se conclut par une absence de harcèlement moral.

La définition que donne le Code du travail du harcèlement moral est précise et exigeante, et nécessite que toutes ses composantes soient réunies pour répondre à cette qualification (agissements répétés, dégradation des conditions de travail, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale…).

Or, il arrive qu’une situation caractérise un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité sans pour autant qu’elle caractérise l’existence d’un harcèlement moral.fausseté de la dénonciation des faits de harcèlement moral

La jurisprudence a pris soin de protéger les salariés qui se risquent à dénoncer à leur employeur le harcèlement moral qu’ils éprouvent, afin de pas les dissuader à le faire.

La Chambre sociale de la Cour de cassation juge en effet que le salarié « qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ».

Elle a ensuite précisé que « la mauvaise foi laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce » (Cass. Soc. 7 fév. 2012 n° 10-18035).

Ce n’est donc que si le salarié dénonce à son employeur, en toute connaissance de cause, des faits inexacts ou mensongers qu’il sera passible d’un licenciement.

Les décisions qui sanctionnent cet abus de droit du salarié sont cependant assez rares.

La Haute juridiction vient néanmoins de publier un arrêt auquel elle semble vouloir donner un retentissement particulier.

Un salarié exerçant des fonctions d’ingénieur d’études depuis plusieurs années avait été placé en inter-contrat après qu’il ait été retiré de la mission sur laquelle il travaillait, et reprochait à son employeur de ne pas avoir répondu à ses interrogations sur les raisons de son retrait de cette mission, le laissant sans activité à son domicile.

Il avait écrit à l’employeur en évoquant une situation « proche du harcèlement ».

L’employeur lui avait répondu par écrit et considérait que « le sujet était clos ».

Néanmoins, le salarié avait persisté dans ses demandes d’explication, et après divers événements avait été licencié pour avoir dénoncé des pressions de sa hiérarchie constitutives de harcèlement moral.

Il soutenait devant la juridiction prud’homale que son licenciement était nul et demandait sa réintégration dans l’entreprise

Après avoir rappelé leur jurisprudence antérieure, les Hauts magistrats approuvent la Cour d’appel d’avoir considéré que son licenciement était justifié.

Ils relèvent ainsi que « le salarié avait persisté à reprocher mensongèrement à l’employeur de ne pas lui avoir donné « pendant plusieurs mois » les motifs de sa sortie de mission alors qu’ils avaient été portés à sa connaissance par écrit le 1er juin 2015, qu’il était à l’origine du blocage de toute communication sur ce point et qu’en dénonçant des faits qu’il savait inexistants de harcèlement moral, l’intéressé, déniant tout pouvoir d’appréciation de l’employeur sur son comportement et sur son travail, avait adopté une stratégie lui permettant de se soustraire aux différents entretiens qui étaient fixés par l’employeur et à la discussion contradictoire qu’il appelait pourtant de ses vœux.

La connaissance que le salarié avait de la fausseté de ses allégations de harcèlement moral se déduisait, d’une part de la contradiction existant entre son souhait affiché d’obtenir des explications sur les motifs de son retrait de mission et son refus persistant de s’expliquer loyalement avec l’employeur sur lesdits motifs, d’autre part du caractère répétitif des remerciements qu’il avait adressés à l’employeur et de l’expression réitérée de sa volonté d’ouverture au dialogue, alors qu’il avait mis en réalité en échec toutes les tentatives de l’employeur de parvenir à une communication constructive en refusant d’honorer tous les rendez-vous qui lui étaient donnés au mépris de ses obligations contractuelles.

La mauvaise foi du salarié dans la dénonciation des faits de harcèlement moral était ainsi caractérisée, quand bien même elle ne serait pas expressément mentionnée dans la lettre de licenciement par l’employeur (Cass. Soc. 16 sept 2020 n° 18-26696).