Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Les temps de crise présentent habituellement cette spécificité qu’ils s’accompagnent d’un cortège de mesures restreignant les droits et libertés des citoyens.
La crise sanitaire actuelle, qui menace de se doubler d’une crise économique, n’échappe pas à cette règle.
Les salariés en font aujourd’hui les frais, il est exigé d’eux qu’ils consentent, en principe à titre temporaire, des sacrifices affectant substantiellement leur relation de travail.
Trois des vingt-cinq ordonnances présentées le 25 mars dernier en conseil des ministres, en application de la loi du 23 mars 2020 (n° 2020-290 ) d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, intéressent en effet le droit du travail.
Nous nous arrêterons à l’une d’elles, portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos, qui revient sur plusieurs dispositions du Code du travail (ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020).
1- Congés payés :
Actuellement, le Code du travail prévoit que l’employeur définit, après avis le cas échéant du CSE, la période de prise des congés payés et l’ordre de départ des salariés et il ne peut, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, modifier l’ordre et les dates de départ moins d’un mois avant la date de départ prévue (article L 3141-16 du Code du travail).
Dorénavant, « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 », selon les termes consacrés par l’ordonnance, l’employeur pourra, sous réserve de respecter un délai de prévenance qui ne peut être réduit à moins d’un jour franc (à la place d’un mois), imposer ou modifier les congés payés des salariés de l’entreprise, pour des périodes ne pouvant excéder six jours ouvrables, ou modifier unilatéralement les dates de prise de congés payés.
Afin de ménager les susceptibilités de la CFDT, qui n’avait pas été épargnée pendant la réforme des retraites, cette possibilité est toutefois subordonnée à la conclusion d’un accord d’entreprise ou de branche.
L’employeur peut en outre fixer les dates des congés, sans être tenu d’accorder un congé simultané à des époux ou des partenaires liés par un PACS travaillant dans son entreprise.
2- Jours de RTT et jours de repos dans le cadre d’une convention de forfait en jours
« Lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 », l’employeur pourra imposer au salarié la prise de jours de RTT à des dates qu’il aura déterminées, et modifier unilatéralement les dates de prise de jours de RTT.
De la même manière, il pourra décider de la prise de jours de repos prévus par une convention de forfait, et disposera de la possibilité de modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos prévus par une convention de forfait.
Il devra, là encore, respecter un délai de prévenance d’au moins un jour franc, mais aucun accord collectif n’est exigé au cas particulier.
La seule restriction impartie à l’employeur consiste à limiter le nombre de jours de repos qu’il peut imposer au salarié, ou dont il peut modifier la date, à 10 maximum.
Il est précisé pour les mesures énoncées précédemment (congés payés, jours de RTT, jours de repos dans le cadre d’une convention de forfait), que la période de prise de jours de repos imposée par l’employeur ne pourra s’étendre au-delà du 31 décembre 2020.
3- Dérogations à la durée du travail
« Les entreprises relevant de secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale » bénéficient de dérogations importantes à la durée légale du travail.
1° La durée quotidienne de travail effectif par salarié pourra être portée de 10 heures à 12 heures maximum.
2° La durée quotidienne de travail de nuit pourra être relevée de 8 à 12 heures maximum.
3° La durée de repos quotidien dont bénéficie un salarié pourra être réduite d’une durée minimale de 11 heures consécutives à 9 heures consécutives.
4° La durée hebdomadaire maximale de travail pourra être portée de 48 à 60 heures.
5° La durée maximale de travail hebdomadaire calculée sur une période de douze semaines consécutives pourra être portée de 44 à 48 heures.
6° La durée hebdomadaire de travail de nuit, calculée sur une période de douze semaines consécutives, pourra être portée de 40 à 44 heures,
Enfin, ces entreprises pourront déroger à la règle du repos dominical en attribuant le repos hebdomadaire par roulement.
L’ordonnance précise que les dérogations précitées cesseront de produire leurs effets au 31 décembre 2020.
On ne peut s’empêcher de faire le constat que si l’employeur peut imposer aux salariés des contraintes en termes de durée de travail, de prises de jours de repos et de jours de congés, les contreparties accordées à raison des efforts qui lui sont demandés apparaissent bien insuffisantes.
Ces salariés, souvent peu qualifiés et exerçant des emplois mal payés, s’exposent à un risque considérable et méritent en conséquence d’avoir une meilleure reconnaissance.