Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

Les effets de la conclusion d’un convention de forfait-jours sur l’année

L’absence de validité d’une convention de forfait en jours sur l’année permet-elle néanmoins au salarié de conserver les jours de réduction du temps de travail (RTT) dont il bénéficiait en contrepartie de l’existence de ce forfait-jours ?

C’est l’interprétation assez innovante qu’avait autorisée la Cour d’appel de Rennes, ouvrant la voie à une perspective intéressante.

Malheureusement, le couperet de la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de tomber, censurant l’audace de ces magistrats.

Rappelons que le forfait-jours prévoit une durée de travail sur l’année qui ne peut excéder plus de 218 jours (article L 3121-64,I 3° du code du travail).

En contrepartie de cette durée annuelle sans référence à la durée légale du travail, l’employeur accorde au salarié un certain nombre de jours de RTT.

Il importe de relever que les salariés qui ont conclu une convention de forfait en jours sur l’année ne sont pas soumis à la durée légale hebdomadaire du travail (de 35h), ni aux durées maximales quotidienne et hebdomadaire (article L 3121-62 du Code du travail).

Des exigences posées à peine de nullité de la convention de forfait-jours

Pour autant, la Cour de cassation exige avec une parfaite constance, d’une part, que l’accord collectif sur lequel repose la convention de forfait assure au salarié la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.convention de forfait jours

D’autre part, le Code du travail impose que l’accord collectif détermine en outre les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié, ainsi que celles selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail de ce dernier, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise (article L 3121-64, II 2°).

La loi établit donc un dispositif de contrôle permettant de s’assurer que la charge de travail du salarié restera raisonnable… encore convient-il de veiller à ce qu’il soit appliqué !

Dans cette affaire, un salarié exerçant les fonctions de responsable de la recherche et du développement est licencié.

Sa relation de travail prévoyait l’application d’un forfait en jours sur l’année.

Convention de forfait-jours privée d’effet et paiement des jours de RTT

Le salarié conteste son licenciement, et remettant en cause la validité du forfait-jours, forme en outre devant la juridiction prud’homale une demande de paiement d’heures supplémentaires et de jours de réduction du temps de travail.

Statuant sur ce dernier aspect du litige, auquel nous nous limiterons, la Cour d’appel (de Rennes) juge que lorsque l’employeur n’assure pas l’effectivité des règles relatives à la protection de la sécurité et de la santé du travailleur, sa défaillance le prive de la possibilité de se prévaloir de la convention de forfait, qui de ce fait n’est pas nulle mais privée d’effet.

Rien de nouveau à priori, la Cour de cassation ayant déjà énoncé le caractère impératif du respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs (Cass. Soc. 7 juill. 2015 n° 13-26444).

Mais la nuance entre la nullité de la convention de forfait et sa privation d’effet est d’importance sur le plan juridique.

La nullité emporte l’anéantissement rétroactif de la convention, qui est considérée comme n’ayant jamais existée, de sorte que les parties se trouvent placées dans la situation où elles se trouvaient avant sa conclusion.

Dans ce cas, le salarié ne peut prétendre au paiement de jours de RTT… qui n’existaient pas.

En revanche, lorsque la convention de forfait-jours est privée d’effet, elle n’est pas nulle, mais inopposable au salarié.

Selon les juges du fond, l’inopposabilité de la convention de forfait entraîne non seulement le décompte du temps de travail et des heures supplémentaires, mais également le maintien des jours de réduction du temps de travail, qui sont la contrepartie de la forfaitisation dont elles représentent un avantage indissociable.

Le salarié était donc fondé à obtenir le paiement des heures supplémentaires qu’il avait exécutées ainsi qu’à conserver le droit au paiement des jours de RTT.

La Chambre sociale de la Cour de cassation censure malheureusement et met fin à cette construction intellectuelle.

Elle se réfère d’abord au Code civil, qui dispose que celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s’oblige à le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu.

Elle ajoute que « la convention de forfait à laquelle le salarié était soumis était privée d’effet, en sorte que, pour la durée de la période de suspension de la convention individuelle de forfait en jours, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention était devenu indu » (Cass. Soc. 6 janv. 2021 n° 17-28234).

En conséquence, le paiement des jours de RTT n’était pas dû à l’intéressé.

On ne peut tout à fait exclure, au regard de cette motivation guère convaincante, que la décision soit guidée par des raisons d’opportunité et une volonté de limiter les conséquences pécuniaires pour les employeurs du non-respect des exigences des conventions de forfait-jours.

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