Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris
Clause de non-concurrence et respect des exigences contractuelles
Les clauses de non-concurrence suscitent toujours de nombreuses interrogations de la part des salariés confrontés à deux types de situation : connaitre les moyens de se défaire d’une clause qui les entrave, ou au contraire percevoir la contrepartie financière qui leur est due, alors que l’employeur a négligé de lever la clause de non-concurrence et rechigne à payer.
Rappelons que depuis 2002, la Cour de cassation considère qu’une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives (Cass. Soc. 10 juill. 2002 n° 00-45135).
En outre, il est acquis que l’employeur ne peut, de sa seule initiative, valablement se délier de la clause de non-concurrence en cours d’exécution du contrat de travail.
C’est ainsi que lorsque contrat de travail stipule que l’employeur peut renoncer à la clause de non-concurrence par écrit dans un délai de X jours suivant la notification de la rupture du contrat, ses termes doivent être respectés, l’employeur n’est donc pas fondé à y renoncer avant cette échéance fixée contractuellement.
Il a en effet été jugé que la clause de non-concurrence, dont la validité est subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière, est stipulée dans l’intérêt de chacune des parties au contrat de travail, de sorte que l’employeur ne peut, sauf stipulation contraire, renoncer unilatéralement à cette clause, au cours de l’exécution de cette convention (Cass. Soc. 11 mars 2015 n° 13-22.257, Cass. Soc. 2 oct. 2019 n° 18-19741).
Nos commentaires se borneront ici uniquement à apporter quelques précisions relatives à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.
Plusieurs règles ont été dégagées par la jurisprudence au fil du temps.
D’une part, l’employeur ne peut prévoir dans le contrat de travail que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence accordée au salarié sera réduite en cas de démission, une telle stipulation étant réputée non écrite.
La Chambre sociale de la Cour de cassation énonce en effet que le salarié lié par une clause de non-concurrence doit bénéficier d’une contrepartie financière, de sorte que les parties ne peuvent dissocier les conditions d’ouverture de l’obligation de non-concurrence de celles de son indemnisation (Cass. Soc. 25 janv. 2012 n° 10-11590).
En d’autres termes, le montant de la contrepartie financière est le même quelles que soient les causes de rupture (licenciement, démission, prise d’acte…).
D’autre part, une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence contenue dans un contrat de travail équivaut à une absence de contrepartie, privant ainsi la clause de validité (Cass. Soc. 15 nov. 2006 n° 04-46721).
Qu’est-ce qu’une contrepartie financière dérisoire ?
Le caractère dérisoire, ou non, de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence relève de l’appréciation des juges du fond et diffère souvent du ressenti que peuvent en avoir les salariés.
Ainsi, s’il a été jugé qu’une contrepartie financière d’un montant égal à 1/10ème du salaire mensuel brut perçue par le salarié était dérisoire, il semble que ce montant constitue véritablement un plancher.
Dès lors, plusieurs décisions récentes valident des contreparties financières qui sont à peine plus élevées et semblent un peu chiches au regard des contraintes qu’elles comportent pour le salarié.
C’est ainsi qu’une contrepartie financière versée pendant une durée de deux ans, égale à 20% de la moyenne mensuelle brute de la rémunération du salarié la première année, puis de 10% la deuxième année, n’a pas été considérée comme dérisoire (Cour d’appel de Rouen, chambre sociale, 24 juin 2021 n° 19/00169).
L’absence de caractère dérisoire résultant de la circonstance que ce montant est celui fixé par la convention collective applicable à la relation de travail, en l’occurrence celle des salariés des entreprises de travail temporaire.
Les juges estiment que si les partenaires sociaux s’accordent sur un montant, il ne leur appartient pas de le remettre en cause…
Une telle analyse est cependant contestable dans la mesure où le montant de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence n’est pas uniforme et varie très largement selon les conventions collectives.
Ainsi à titre d’exemple de ces disparités : elle est notamment d’un tiers ou de deux-tiers des appointements mensuels du salarié, selon les restrictions qui lui sont imposées, dans la convention collective des industries chimiques, et d’au moins la moitié du dernier salaire brut mensuel fixe perçu dans la convention collective des activités de marchés financiers…
La Chambre sociale vient au demeurant de rappeler que le montant de la contrepartie financière ne peut être réduit.
La contrepartie financière de la clause de non-concurrence n’est pas une clause pénale
Un salarié, dont le contrat de travail comportait une clause de non-concurrence, démissionne et l’employeur ne lui paye la contrepartie financière qu’il lui doit.
Il saisit donc la juridiction prud’homale d’une demande de paiement.
Son montant était fixé par référence à la convention collective de l’industrie textile à un tiers de mois de salaire, montant que l’employeur trouvait manifestement exorbitant.
Il soutient alors qu’il s’agit d’une clause pénale, dont le montant peut être réduit par le Juge lorsqu’elle est excessive, conformément aux dispositions légales.
La Chambre sociale de la Cour de cassation lui répond négativement, précisant que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ayant la nature d’une indemnité compensatrice de salaire stipulée en conséquence de l’engagement du salarié de ne pas exercer, après la cessation du contrat de travail, d’activité concurrente à celle de son ancien employeur, elle ne constitue pas une indemnité forfaitaire prévue en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle (Cass. Soc. 13 oct. 2021 n° 20-12059).
Ajoutons pour conclure, que c’est précisément parce que la contrepartie financière de l’obligation de non-concurrence a la nature d’une indemnité compensatrice de salaires, qu’elle ouvre droit en outre à congés payés (Cass. Soc. 23 juin 2010 n° 08-70233).