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L’affaire des « CONTI » sous son aspect juridique

Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

Avocat droit du travail - ContinentalLa presse vient de se faire l’écho de la victoire des « Conti », ces 680 salariés qui avaient contesté le bienfondé de leur licenciement par le fabricant de pneus CONTINENTAL ont en effet obtenu gain de cause devant le Conseil de Prud’hommes de Compiègne., qui a jugé que ceux-ci étaient injustifiés.

Il est cependant probable que leur combat judiciaire ne s’arrêtera pas là, tant il apparaît vraisemblable que l’employeur fasse appel du jugement.

Cette actualité nous donne l’occasion de revenir, à la lumière de cette affaire, sur les caractéristiques d’un licenciement pour motif économique et les abus couramment constatés en la matière.

Précisons toutefois que nous n’avons connaissance de ce dossier et des arguments soutenus par les avocats des parties qu’à travers les récits qu’en a faits la presse, et que notre propos comporte une appréciation d’ordre général.

Les faits, grossièrement relatés, étaient les suivants : le groupe allemand CONTINENTAL, qui disposait d’une usine à Clairvoix (Oise) a, après une longue résistance des syndicats, pris la décision de fermer ce site, licenciant au passage les 1 113 salariés qui y travaillaient, pour motif économique, à la fin de l’année 2009.

La direction de l’entreprise, et manifestement celle du groupe, justifiaient cette fermeture par la forte baisse du marché du pneu en Europe et par les coûts de production trop élevés de ce site par rapport à d’autres usines du groupe également situées en Europe.

Ce motif, contesté par les salariés, pouvait-il constituer un motif de licenciement valable sur le plan juridique ?

La loi précise que la cause d’un licenciement pour motif économique doit résulter de difficultés économiques ou de mutations technologiques (article L 1233-3 du Code du travail).

A cela, la jurisprudence a ajouté une cause de licenciement supplémentaire : la réorganisation de l’entreprise, à la seule condition néanmoins, que cette réorganisation soit nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise (Cass. Soc 20 mars 2013 n° 12-13669).

Les conditions sont donc, comme on le constate, limitatives en l’état actuel.

Ainsi, par exemple, il a été jugé qu’un licenciement motivé par une baisse de rentabilité ne constituait pas un motif économique.

De même, des difficultés économiques passagères ne caractérisent pas davantage un motif économique de licenciement.

Les choses sont rendues encore un peu plus complexes lorsque l’entreprise appartient à un groupe, ce qui était le cas de la société CONTINENTAL.

Dans cette hypothèse, les difficultés économiques ne s’apprécient pas au niveau de l’entreprise concernée elle-même, c’est-à-dire en l’espèce l’usine de Clairvoix, mais au niveau du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise.

De sorte que les chiffres de la filiale française sont à relativiser puisqu’ils ne constituent qu’une pièce d’un ensemble à considérer.

Le secteur d’activité étant celui de la fabrication de pneus, (« passenger and light truck tires »), il convenait d’apprécier la situation économique de l’ensemble des sociétés du groupe relevant de ce secteur d’activité, au niveau international.

Ce sont les comptes consolidés de l’ensemble des filiales du groupe, relatifs à ce secteur d’activité qui permettent d’en rendre compte.

Or, il semble, d’après les chiffres rapportés par la presse, que cette division engrangeait un bénéfice extrêmement conséquent de 626,4 millions au titre de l’année 2008 et dégageait une marge opérationnelle de 17,1 %.

Dans ces conditions, la cause économique invoquée par l’employeur parait mise à mal.

En outre, et c’est le deuxième argument que semble avoir retenu par le Conseil de Prud’hommes de Compiègne, l’article L 1233-4 du Code du travail prévoit que le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut être justifié que lorsque les efforts de reclassement ont été accomplis par l’employeur, qui a effectué des recherches au sein de toutes les entreprises du groupe auquel il appartient, y compris celles situées à l’étranger, sous réserve bien entendu de l’acceptation du salarié.

Cette obligation est préalable au licenciement.

Elle impose à l’employeur de recenser tous les postes disponibles au sein de toutes les entreprises du groupe (en France et à l’étranger) et à se livrer à un examen individuel de la situation des salariés menacés de licenciement, afin de leur faire des propositions précises et personnalisées (Cass.. soc 28 sept. 2011 n° 10-20008).

Remettre une liste de postes à l’intéressé en lui demandant de faire son choix n’est pas considérée comme une proposition de reclassement suffisante, faute d’individualisation.

On mesure l’ampleur de la tâche !

C’est au demeurant précisément parce que certains employeurs jugent cette obligation trop contraignante qu’ils y renoncent.

Sur ce point également, les juges ont considéré que la société CONTINENTAL avait failli, en ne formalisant pas de propositions de reclassement satisfaisantes.

Les exigences strictes de la jurisprudence sont inspirées par le fait que le licenciement d’un salarié ne doit être prononcé qu’en dernière issue, lorsque son emploi n’a véritablement pas pu être sauvé.

En droit français, la sauvegarde de l’emploi prévaut sur la recherche de rentabilité.