Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris
La faute grave, une sanction souvent utilisée par l’employeur de façon opportune
La faute grave se définit, on le sait, par ses conséquences : elle doit être d’une gravité telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Si les employeurs ont la fâcheuse tendance à multiplier les cas de recours à la faute grave en toutes circonstances c’est précisément parce qu’elle justifie un départ immédiat du salarié de l’entreprise, l’employeur se dispensant de la sorte du paiement du préavis et de l’indemnité de licenciement.
Un raisonnement cynique de sa part consiste, bien qu’il ait parfaitement connaissance de la fragilité du licenciement, (1) soit à prendre le pari, souvent perdu, que le salarié ne contestera pas son congédiement devant la juridiction prud’homale, (2) soit à attendre que le Conseil de prud’hommes statue sur le litige en imaginant peut être qu’il n’est pas à l’abri d’une bonne surprise et que c’est de toute façon toujours du temps gagné ; (3) soit à proposer au salarié de lui verser une indemnité transactionnelle, en prenant soin de lui proposer une somme inférieure au montant du risque judiciaire qu’il a évalué.
Cela étant, en cas de litige, la faute grave doit être prouvée par l’employeur, qui ne peut donc se contenter de simples affirmations (Cass. Soc. 9 oct. 2001 n° 99 42204).
Le juge exerce en outre un contrôle de proportionnalité et apprécie si le licenciement pour faute grave était proportionné aux faits que l’employeur reproche au salarié (Cass. Soc. 25 oct. 2017 n° 16-11173).
Il peut notamment prendre en considération l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et son comportement antérieur, ainsi que les circonstances de fait à l’origine du licenciement.
Reste néanmoins que si la faute grave est protéiforme, il est des situations pour lesquelles les Juges font peu preuve d’indulgence et retiennent avec une probabilité qui approche de la certitude la qualification de faute grave.
En particulier, des violences physiques commises par un salarié envers un autre salarié ou envers l’employeur, dans l’entreprise ou chez un client, sont appréciés avec sévérité, ainsi que l’illustre l’examen de la jurisprudence.
Une rixe commise chez un client :
Un salarié, chauffeur de poids lourd, avait été licencié pour faute grave après s’être battu avec un autre chauffeur chez un client.
Il a contesté sans succès son licenciement, la Chambre sociale de la Cour de cassation, écartant le point de savoir lequel des deux protagonistes était à l’origine de l’altercation, considère que ces faits de violences physiques, commis chez un client de la société, étaient, peu important leur caractère isolé et l’ancienneté du salarié, constitutifs d’une faute grave rendant impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise (Cass. Soc. 9 juill. 2014 n° 13-17805).
Agression d’un collègue suivie d’un violent coup porté à l’employeur
Un salarié ayant 23 ans d’ancienneté, employé en qualité de chef de partie dans un restaurant, avait été licencié pour faute grave pour avoir agressé un collègue et donné un coup violent au visage de son employeur devant la clientèle.
Il avait justifié sa réaction par le contexte de tension qui régnait dans l’entreprise et par le comportement raciste de l’employeur.
La Cour de cassation rejette ces raisons et juge que le contexte de tension et le comportement raciste de l’employeur n’étaient pas établis et, d’autre part, que le salarié avait, devant d’autres salariés et les clients de l’établissement, agressé un collègue puis donné un violent coup au visage de son employeur tentant de calmer la situation, de sorte que, nonobstant l’importante ancienneté du salarié, son maintien dans l’entreprise était rendu impossible et constituait une faute grave (Cass. Soc. 21 nov. 2012 n° 11-23704).
Menaces physiques contre l’employeur
Une salariée, employée d’un libre-service ayant 20 ans d’ancienneté avait eu un accrochage avec son directeur de magasin, à l’issue duquel elle l’avait insulté et menacé.
Licenciée pour faute grave, elle demandait à la juridiction prud’homale de juger que son licenciement était injustifié.
Peine perdue, la Cour de cassation ayant relevé que la salariée avait insulté et menacé son directeur en présence du personnel et fait appel à son mari qui avait menacé physiquement ce supérieur ;’elle avait, le lendemain, réitéré ses insultes et menaces dans des conditions nécessitant l’intervention de la police, ces faits constituaient une faute grave rendant impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise (Cass. Soc. 26 sept. 2012 n° 11-19765).
Coups portés sur un collègue au cours d’un entretien avec un responsable hiérarchique
Dans une dernière décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de se prononcer sur l’affaire d’un salarié, employé libre-service ayant presque 8 ans d’ancienneté, qui, après avoir été frappé par un collègue, avait été convoqué par son supérieur hiérarchique en présence de ce collègue afin d’entendre leurs explications sur l’altercation qui s’était produite le matin.
Il avait alors aussitôt répondu en frappant le collègue qui l’avait agressé au visage, raison pour laquelle l’employeur l’avait licencié pour faute grave (précisons que les deux salariés avaient été licenciés pour ce motif).
La Haute juridiction confirme la faute grave, après avoir considéré que les coups portés par l’intéressé sur un autre salarié l’avaient été au cours d’un entretien avec un supérieur hiérarchique destiné à revenir sur une altercation survenue plus tôt dans la journée entre les deux salariés ; quels que soient l’ancienneté et le comportement habituel de l’intéressé, ces faits rendaient impossible son maintien dans l’entreprise et constituaient une faute grave (Cass. Soc. 9 juin 2021 n° 20-14365).