Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

La loi « Hamon » n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, contient une disposition très intéressante en droit du travail, qui n’a pas échappé aux commentateurs, et qui lui a valu les plus vives critiques de la part des décideurs économiques.

Un décret publié le 28 octobre 2014 est venu compléter la loi et en préciser les modalités.

Avant d’aborder les points qui font débat, il convient pour remettre les choses en perspective de relire l’exposé des motifs de ce texte législatif, qui affichait une ambition assez inédite, dont l’inspiration semble être à rechercher du côté de SAINT-SIMON ou de Charles FOURIER.

En voici les principaux extraits :

La crise économique a conduit depuis 2008 à une prise de conscience généralisée de la nécessité de transformer durablement notre système économique. Un mouvement de fond prend forme dans les pays développés comme au sein des économies émergentes parmi les citoyens, les responsables publics, les chefs d’entreprises, les économistes, en faveur d’un dépassement du modèle économique classique fondé sur la maximisation des profits. Mêlant les critiques fondées sur la financiarisation, la spéculation et l’absence de prise en compte des externalités environnementales ou sociales, de nouveaux courants de pensée convergent pour appeler à la création de nouveaux « référentiels » économiques.

« Produire autrement », « entreprendre autrement », « consommer autrement » sont autant de formules qui illustrent les aspirations modernes à une plus grande maîtrise de l’activité économique pour satisfaire des préoccupations de long terme : cohésion sociale, ancrage territorial des emplois, développement durable.

Dans ce contexte, l’économie sociale et solidaire (ESS) se définit comme un mode d’entreprendre apportant une réponse à ces préoccupations.

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L’ambition du Gouvernement consiste à encourager un changement d’échelle de l’économie sociale et solidaire dans tous ses aspects, afin de construire avec les entreprises de l’économie sociale et solidaire une stratégie de croissance plus robuste, plus riche en emplois, plus durable et plus juste socialement. Elle s’appuie sur les principes irriguant ce mode d’entreprendre différent :

– l’aspiration à la démocratie au sein de l’entreprise : en choisissant une gouvernance qui associe les salariés, les producteurs, les adhérents, les sociétaires ou les bénévoles, elle installe la démocratie dans « l’atelier » et soustrait la pérennité de l’entreprise à la décision solitaire et unilatérale du propriétaire du capital.

– la mesure et de la tempérance : le temps de l’économie sociale et solidaire est celui du long terme pour favoriser la durabilité de son activité dans le temps. Secteur économique à l’investissement patient, les entreprises de l’économie sociale et solidaire consacrent ainsi leurs excédents aux forces productives, à l’investissement collectif et aux réserves impartageables.

– le bénéfice pour tous comme finalité : l’économie sociale et solidaire réconcilie l’économie avec le sens commun des « bénéfices » c’est-à-dire des bienfaits (benefitius). Elle replace l’homme et ses besoins au cœur de la décision économique. Elle replace l’intérêt général et le progrès collectif parmi les finalités premières de l’activité économique.

 

Deux des articles de la loi, les articles 19 et 20, ont cristallisé l’attention.

Ils prévoient en effet que (1°) lorsque le cédant d’un fonds de commerce employant au plus deux cent quarante neuf salariés, mais aussi et peut être surtout, (2°) lorsque le propriétaire d’une participation représentant plus de 50 % des parts sociales ou actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital dans les entreprises, veulent céder la participation qu’ils détiennent, il doivent en informer les salariés.

Cette information doit être donnée aux salariés et aux instances représentatives du personnel, s’il en existe (article L 1233-57-14 du Code du travail), au plus tard deux mois avant la cession, ceci afin de permettre à un ou plusieurs salariés intéressés, de présenter une offre d’achat de cette participation, et d’acquérir ainsi un pouvoir décisionnaire au sein de l’entreprise ou du groupe dans lequel il travaille.

Si ce texte législatif s’était arrêté à ces considérations, il y a fort à penser que, sans aller jusqu’à s’attirer les louanges des organisations patronales, il n’aurait guère prêté le flanc à la critique.

Des parlementaires à l’écoute des préoccupations salariés, qui, en les associant à l’avenir de l’entreprise, les responsabilise en leur offrant la possibilité de détenir une partie de leur outil de travail et d’être ainsi les acteurs de leur avenir… quelle idée lumineuse !

Mais, peut être aussi échaudé par de fâcheux précédents, on se souvient notamment de la fermeture du site Arcelor Mittal à Florange en 2012 et des promesses électorales qui avaient été faites, le législateur a entendu conférer aux salariés un pouvoir important et efficient, en assortissant l’absence de respect de cette obligation d’une sanction.

Le propriétaire a en effet l’obligation d’informer individuellement les salariés lorsqu’il veut céder sa participation représentant plus de 50 % du capital.

Si la cession est intervenue en méconnaissance des dispositions légales, en d’autres termes si les salariés n’en ont pas été informés dans les deux mois précédant la cession, celle-ci peut être annulée à la demande de tout salarié (articles L 141-23, L 23-10-1 et L 23-10-7 du Code de commerce).

Imaginons un instant qu’une obligation de cette nature n’ait pas été sanctionnée, aurait-elle réellement été appliquée ?

 

Les salariés sont donc aujourd’hui pleinement informés des destinées de leur entreprise, lorsque celle-ci compte 250 salariés au plus, et il leur est loisible, au même titre qu’à d’autres investisseurs, de présenter un projet de reprise.

On ne compte d’ailleurs plus les opérations de LBO réalisées par des cadres sur leur entreprise en difficulté.

La loi n’a pourtant pas été jusqu’à leur reconnaître une sorte de « droit de préemption », l’offre qu’ils sont susceptibles de présenter n’ayant pas la préséance, et pouvant parfaitement, au demeurant, être refusée si elle ne convient pas ou ne présente pas de garanties suffisantes.

Mais force est cependant de constater que le pouvoir, puisque c’est de cela dont il s’agit, accordé aux salariés de faire annuler la cession, a été diversement apprécié des instances patronales, qui y ont tôt vu à la fois une entrave à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété.

Et ils s’en sont faits l’écho auprès du (nouveau) ministre de l’économie, qui ne semble pas être demeuré insensible à leurs arguments.

C’est en effet moins de six mois après la promulgation de la loi, le 12 janvier 2015, que le premier ministre a chargé une députée de « dresser un premier constat sur les conditions de mise en œuvre du droit d’information préalable des salariés (DIP) en cas de cession d’entreprises, et plus largement sur les recommandations qui peuvent être formulées pour faciliter et accompagner les transmissions et reprises d’entreprises. »

Un rapport d’évaluation a été remis le 18 mars 2015.

Celui-ci recommandait notamment de remplacer la sanction de la nullité de la vente de l’entreprise par une amende proportionnelle au prix de vente, et d’assouplir les modalités d’information pour répondre aux situations où il est difficile d’informer les  salariés.

Cette proposition est reprise par le loi Macron du 10 juillet 2015, qui sanctionne le non-respect de l’information des salariés par une amende civile.

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à ce point de droit, avait devancé de quelques jours la loi nouvelle, et jugé que l’action en nullité (reconnue aux salariés) portait une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprendre, et en conséquence, devait être abrogée (Conseil constitutionnel, 17 juillet 2015 n° 2015-476).

 

La durée de vie de cette disposition légale aura été bien courte.

Pour une fois que le législateur avait fait montre d’audace en accordant un pouvoir réel aux salariés, en les plaçant au centre du débat, gageons qu’on ne l’y reprendra pas de si tôt !

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