Par Franc Muller – Avocat droit du travail, Paris

 

L’obligation de sécurité s’impose à l’employeur

La vie professionnelle compte pour une part importante de l’existence et peut être aussi bien une source de satisfaction, voire d’épanouissement, que parfois de souffrance.

Les études sur le sujet démontrent que les conflits avec la hiérarchie ou entre collègues constituent pour les salariés une des principales causes de souffrance au travail, au côté de la dégradation des conditions de travail et de l’épuisement professionnel.

Lorsqu’un salarié subit une situation conflictuelle avec un collègue de travail ou avec un responsable hiérarchique, il est important qu’il ne reste pas isolé et qu’il en informe, par écrit, les instances représentatives du personnel, lorsqu’il en existe dans l’entreprise (délégués du personnel, CHSCT, en attendant l’instauration d’un Comité Social et Économique), ainsi que le responsable des ressources humaines et le médecin du travail.

L’information de l’employeur est d’autant plus indispensable qu’il est tenu à une obligation de sécurité qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés (articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail).

L’écrit constitue le moyen de preuve le plus efficace pour mettre l’employeur face à ses responsabilités et l’empêcher d’affirmer qu’il ne savait pas.

De sorte qu’une absence de réaction de sa part constitue une faute.

On se souvient par ailleurs que depuis un arrêt Air France du 25 novembre 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation a mis l’accent sur la nécessité pour l’employeur de prendre toutes les mesures préventives pour limiter les risques psychosociaux dans l’entreprise (Cass. Soc. 14-24444).

Les juristes débattent sur le point de savoir si cette obligation de sécurité est encore une obligation de résultat, une obligation de résultat atténuée ou une obligation de moyen renforcée.

La Cour de cassation vient de donner une nouvelle illustration de l’obligation qui pèse, en tout état de cause, sur l’employeur

Un salarié travaillant dans une petite entreprise avait fait l’objet d’agressions verbales récurrentes de la part d’un de ses collègues.

Reprochant à son employeur des manquements à diverses obligations, dont l’obligation de sécurité, ce salarié avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, puis avait été licencié ultérieurement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Les juges du fond avaient relevé qu’à la suite de l’altercation verbale qui s’était produite le 29 juillet 2013, l’employeur, qui attribuait l’incident à une difficulté de communication, avait organisé une réunion en présence des deux intéressés pour résoudre leur différend, au cours de laquelle l’agresseur s’était excusé.

Il avait ensuite organisé des réunions périodiques destinées à faciliter l’échange d’information entre services et entre les deux salariés notamment, et estimait avoir ainsi rempli ses obligations.

La Chambre sociale de la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir considéré qu’il n’en était rien, et énonce, qu’ayant relevé que :

Bien qu’ayant connaissance des répercussions immédiates causées sur la santé du salarié par une première altercation avec l’un de ses collègues, des divergences de vues et des caractères très différents voire incompatibles des protagonistes et donc du risque d’un nouvel incident, la société n’avait pris aucune mesure concrète pour éviter son renouvellement hormis une réunion le lendemain de l’altercation et des réunions périodiques de travail concernant l’ensemble des salariés, qu’elle n’avait ainsi pas mis en place les mesures nécessaires permettant de prévenir ce risque, assurer la sécurité du salarié et protéger sa santé physique et mentale conformément aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail (Cass. Soc. 17 oct. 2018 n° 17-17985).

Il faut donc retenir que l’employeur est tenu d’agir de façon effective et concrète non seulement pour prévenir les risques, mais également pour éviter le non-renouvellement de situations qui sont cause de souffrance et d’altération de la santé des salariés.

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