Par Franc Muller – Avocat licenciement, Paris

 

Un grave manquement de l’employeur peut empêcher la poursuite du contrat de travail

La faute grave est habituellement invoquée par l’employeur pour mettre un terme immédiat au contrat de travail qui le lie au salarié.

Elle se définit, selon l’acception habituelle, comme une faute d’une telle gravité qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, laissant aux juges du fond le soin d’apprécier au cas par cas quels sont les faits qui s’inscrivent dans cette définition.

Mais la faute grave n’est pas l’apanage du salarié, le comportement de l’employeur peut aussi dans certaines circonstances caractériser une faute grave justifiant que le salarié prenne l’initiative de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur.

La faute grave de l’employeur permet ainsi de libérer le salarié sous contrat à durée déterminée avant l’échéance de son terme.

En outre, lorsque la relation de travail repose sur un contrat à durée indéterminée, il est établi qu’un manquement suffisamment grave de l’employeur peut empêcher la poursuite du contrat de travail, de sorte que le salarié est fondé à prendre acte de la rupture de son contrat de travail ou à en poursuive la résiliation judiciaire devant la juridiction prud’homale.

Les ruptures de CDD du fait de l’employeur sont limitées à quatre événements

Les causes de rupture anticipée d’un contrat à durée déterminée sont limitées par l’article L 1243-1 du Code du travail à quatre événements : l’accord des parties, la force majeure, la faute grave de l’employeur ou l’inaptitude du salarié, auxquels l’article L 1243-2 ajoute la conclusion d’un contrat à durée indéterminée.

Hormis ces cas limitativement énumérés, point de salut !

La Chambre sociale de la Cour de cassation donne au demeurant une interprétation assez stricte de la qualification de faute grave emportant la rupture du contrat à durée déterminée avant son terme.

Elle a ainsi considéré que la démission d’un salarié imputant à son employeur des faits qui l’avaient poussé à agir de la sorte n’étaient pas suffisante pour constituer un motif de rupture, les juges du fond devant véritablement caractériser l’existence d’une faute grave commise par l’employeur (Cass. Soc. 29 nov. 2006 n° 04-48655).

A cet égard, l’absence de paiement du salaire, les manquements aux règles d’hygiène et de sécurité ou des agissements de harcèlement moral sont susceptibles de constituer, entre autres causes, des fautes graves de l’employeur.

La jurisprudence est particulièrement abondante concernant les ruptures anticipées de contrats à durée déterminée de sportifs professionnels.

La Haute juridiction réaffirme que la faute grave de l’employeur est une cause de rupture du contrat de travail, peu importe que le salarié, qui avait engagé une action judiciaire pour en tirer les conséquences, et dont le contrat de travail était toujours en cours d’exécution, ait conclu une embauche avec un nouvel employeur.

Un salarié est engagé par une association sportive en qualité de joueur de volley-ball, puis d’entraineur, par contrat à durée déterminée s’achevant le 30 juin 2014.faute grave de l'employeur

Reprochant à son employeur de graves manquements, il saisit le 21 mars 2013 la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation de son contrat de travail aux torts de l’employeur, le contrat se poursuivant alors dans l’attente de la décision à intervenir.

Deux mois plus tard, et avant que le Conseil de prud’hommes ait statué sur le bien fondé de la demande du salarié, celui-ci signe (le 17 mai 2013) un contrat de travail avec un nouveau club professionnel de volley-ball puis prend acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 27 mai 2013.

Devant le Juge, l’employeur affirme qu’en réalité l’engagement du salarié auprès d’un nouvel employeur pendant l’exécution de son contrat de travail constituait une démission, privant d’effet la prise d’acte ultérieure.

Argument qui ne convainc pas, la Chambre sociale de la Cour de cassation énonçant d’abord que l’engagement du salarié par un autre club sportif avait été précédé de la saisine, par l’intéressé, de la juridiction prud’homale en vue de la résiliation du contrat de travail en raison des manquements qu’il imputait à l’employeur, cet engagement ne pouvait être considéré comme la manifestation par le salarié d’une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail.

Peu importe donc que le salarié ait conclu sa nouvelle embauche en cours d’exécution de son contrat de travail, cette circonstance ne saurait s’interpréter comme une démission, qui doit être libre, sérieuse et non équivoque.

Elle ajoute que, prenant en considération les manquements invoqués par le salarié tant à l’appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu’à l’appui de la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée et analysant cette rupture anticipée à l’initiative du salarié, la Cour d’appel a pu décider, peu important qu’elle l’ait improprement qualifiée de prise d’acte, qu’elle était justifiée par les manquements de l’employeur dont elle a fait ressortir qu’ils constituaient une faute grave (Cass. Soc. 3 juin 2020 n° 18-13628).

En conséquence, la rupture anticipée du contrat de travail ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat.

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